Retour à l'accueil du site





Manuel BENGUIGUI


Un bon rabbin


Chlomo est le rabbin d’une petite communauté qui ne compte plus que six fidèles. L’état de délabrement de la synagogue a fait fuir tous les autres habitués.

Jacob, qui avait rarement mis les pieds dans une synagogue, demande au rabbin de venir tôt le matin, avant le premier office, de façon à prier seul. Et pour entrer dans la synagogue il a besoin d’une clé. Chlomo refuse mais Jacob insiste. Il revient le lendemain puis le jour suivant et ainsi pendant cinquante-huit jours, et Chlomo finit par lui confier la clé, sans lui poser aucune question.

Mais un des vieux fidèles remarque « une silhouette inconnue sortir de la synagogue et refermer derrière elle ». Le bruit se répand. Puis on accuse l’inconnu d’avoir déplacé la théière sacrée. Chlomo rassure ses ouailles et protège Jacob  mais l’idée du démon  commence à se répandre parmi la troupe des six hommes. « Six vénérables fidèles, fidèles au Seigneur autant qu’au lieu, lieu qui leur servait aussi bien à la prière qu’au divertissement, à la jacasserie qu’au recueillement, toutes sortes d’occupations idéales pour éliminer l’oisiveté d’une  retraite non guidée par la foi. La synagogue comme antithèse de l’ermitage en sorte. » Ils décident de surveiller la synagogue la nuit et pour cela ils volent la clé à Esther, la vieille femme de ménage qui « officiait hors office depuis trente-sept ans ». Chlomo ne sous-estime pas le pouvoir de nuisance de la troupe des six.

Il décide donc de s’entretenir avec Jacob. Jacob lui avoue qu’il est tueur à gages et n’en peut plus de tuer. «… se tourner vers Dieu le soulage un peu. Ou plutôt la prière [...] lui offre un répit. Mais cela ne suffit pas [...] il est fatigué et pense à tout arrêter, à mettre un terme à sa vie. » Chlomo écoute Jacob sans le juger. C’est un homme secourable qui veille avec affection et miséricorde sur sa communauté de fidèles. Pour aider Jacob il a une idée. « Il demande la permission à Dieu, solennellement, arguant de la sincérité de sa démarche. Dieu ne manifesta aucune objection. Il laissa Chlomo décider. »

Chlomo va donc prendre la place de Jacob. Il apprend le  métier, puis il y eut la première fois ; « un contrat facile, une cible qui ne se méfiait pas et se déplaçait sans garde du corps. » D’autres contrats suivirent qu’il remplit mais au détriment des devoirs de sa charge. Tandis que Jacob va mieux, Chlomo va perdre le repos et ressentir tous les maux décrits par Jacob.

Dans cette fable romanesque et iconoclaste, tous les personnages sont prisonniers de leur destin jusqu’à l’absurde ; les vieux Juifs pétris de superstition qui chassent le démon toute la nuit dans la synagogue ; le rabbin qui par devoir envers son prochain, endosse le rôle le plus invraisemblable pour un homme de Dieu ; Jacob qui n’en peut plus de tuer mais ne sait rien faire d’autre ; Shoshana, l’épouse du rabbin qui vit dans l’adoration du saint homme et lui porte une confiance absolue même quand il néglige la synagogue et sa communauté. Un seul personnage échappe à son destin, c’est la vieille Esther qui vit un amour inespéré avec Chmuel, l’un des vieux bougons. Quand Chlomo le lui reproche, elle se révolte et laisse éclater sa colère, « elle ne laisserait pas ces  moments lui être arrachés, elle en mourrait plutôt. »

Au-delà de l’humour lié à l’invraisemblance, cette confrontation à l’absurde laisse songeur. Jacob, pour des raisons professionnelles et par goût personnel n’a aucune relation amicale et ne sait pas à qui se confier. Les personnages des romans précédents de Manuel Benguigui sont aussi des êtres solitaires ; Ludwig a une passion monomaniaque pour la peinture et Edwin semble perdu dans un paysage imaginaire.

Un des peintres favoris de l’auteur est Gauguin dont la quête picturale est aussi métaphysique ; que faisons-nous sur cette terre ? Comment parvenons-nous ou pas à échapper à notre destin ?

Nadine Dutier 
(13/02/19)    



Retour
Sommaire
Lectures








Mercure de France

(Février 2019)
160 pages - 15,80 €









Manuel Benguigui,
né à Paris en 1976, a longtemps travaillé dans une galerie d'art tribal.
Un bon rabbin est
son troisième roman.