Retour à l'accueil du site





Nicolas ZEIMET


Retour à Duncan’s Creek


En exergue, comme une "ouverture", cette citation de Joyce Carol Oates : « Je sais que si on ne s’occupe pas de son passé, un jour, c’est lui qui s’occupe de vous. »
Et si on hésite à souscrire à cette phrase, le roman annoncé ainsi, va sans doute nous convaincre en l’illustrant d’une façon juste et émouvante.
Il s’agit d’un « polar » des éditions Jigal qui, à chaque livre paru, nous régalent (tous auteurs confondus) de récits à suspense bien mené, de personnages attachants, mais et surtout, de retours sur des évènements du passé, et d’histoires socialement ou politiquement intéressantes.

Avec celui-ci, il s’agit cette fois de parcours personnels. L’histoire complexe d’une amitié, qui a commencé à l’adolescence de ses personnages, dans un petit village de l’Utah : Duncan’s Creek.
Trois jeunes, Samantha Baldwin (Sam), Jake Dickinson et Ben McCombs, fréquentent le même établissement scolaire, et partagent discussions et loisirs passionnées dans une complicité parfois compliquée à gérer mais difficilement altérable. Sam et sa petite sœur vivent avec leur père, ancien gardien de prison au chômage, et veuf depuis plusieurs années. Les parents de Jake tiennent une station-service, et Ben, est fils de fermiers.

Dans le premier chapitre, Jake, est appelé par son amie Samantha, qui lui demande de venir la rejoindre et ce d’une façon urgente semble-t-il. Il n’hésite pas et pendant le voyage : « Souvent je repensais à notre adolescence, aux allers-retours qu’elle avait faits dans ma vie. Elle partait, revenait, sans explications et sans préavis. Me laissant seul avec mes interrogations. »
Jake n’a pas revu Samantha depuis quelques années. « Mon passé opacifiait mon avenir, le rendait hermétique à toute forme de lumière, et je sentais, au fond de moi, qu’il s’apprêtait à nouveau à m’exploser à la figure. »

C’est un drame, qui est à l’origine de leur séparation. « Nous n’avions que quinze ans à l’époque, et le temps se déroulait sous nos pieds comme un chemin sans fin. Mais quelque chose nous avait arrêtés en cours de route. Ce n’était pas venu par étapes, comme ces vagues qui grignotaient progressivement la grève, plutôt sous la forme d’une lame de fond qui avait déferlé sur nous sans que rien ne puisse l’arrêter. Nous laissant en état de choc. »

L’évènement est évoqué dans la première partie de cette histoire, pour apparaître ensuite comme en filigrane, laissant le lecteur en supputer les conséquences sur la vie des uns et des autres, mais il ne sera dévoilé dans sa totale réalité qu’à la fin du roman. « Ce qui s’était passé en octobre cette année-là n’était pas un secret que pour les autres, c’en était aussi devenu un pour nous. »

La personnalité de ces jeunes, leur vie quotidienne sont décrites avec beaucoup de sensibilité et on s’attache particulièrement à Samantha, à ses répliques toujours vives, pleines d’humour caustique, comme à son esprit de "meneuse" auprès de ses camarades. Elle se montre tonique, révoltée, provoquante, dans ses relations avec eux, mais nous touche d’autant plus quand apparaît ce qu’elle vit dans sa famille avec ce père autoritaire frustre et violent.

La construction du roman fait alterner les chapitres titrés "Aujourd’hui" avec ceux, intitulés "Hier". Leur articulation est toujours très au point pour nous tenir en éveil, et ménager les épisodes et anecdotes sensibles. Ce que nous apprenons sur le déroulement de ces années nous laisse avec des doutes, et surtout des questions dont nous pensons découvrir les réponses dans le chapitre suivant…

On constate que les fils qui pouvaient relier les trois protagonistes après leur séparation ont été souvent distendus, parfois même rompus. Mais Jake y croit encore, des années plus tard, en retournant à Duncan’s Creek. « L’espoir. C’est lui qui lui avait permis de tenir le coup, au fil du temps. Des années après son départ, il avait continué à croire qu’un jour elle finirait par lui donner une explication rationnelle à sa disparition, à ses années d’errance. »

Nous sentons que les secrets et les mensonges n’ont pu être toujours occultés chez les trois amis, et même si les trois destins ont été différents, ils ont contribué à moduler leurs choix, leur vie.
 « On ne se remet jamais complètement de son premier amour, selon moi, pas plus qu’on ne se remet de sa première amitié. C’est encore plus vrai quand celle-ci vous a été arrachée du jour au lendemain. Vous laissant en état de choc. »

Les sous-entendus à propos du drame du début, les détails qui se glissent tout au long de notre lecture, nous donnent envie d’en percer la logique, alors qu’ils peuvent tout aussi bien être susceptibles de se briser à chaque chapitre… Par moments bouleversant, ce roman est d’une justesse de ton qui force l’admiration. Sa construction habile et subtile sert ce récit grave, et touchant, comme elle contribue à nous y accrocher et à susciter notre réflexion : de quelle façon un drame vécu à l’adolescence va-t-il agir sur les protagonistes ou les témoins d’une façon déterminante et particulière ?
Cela confirme l’intérêt littéraire et dramatique de ce roman.
Un polar ? Un beau roman !

Anne-Marie Boisson 
(07/05/18)    



Retour
Sommaire
Noir & polar








Editions Jigal
(Septembre 2017)
296 pages -19 €

Jigal Poche
(Mai 2018)
376 pages - 9,80 €











Nicolas Zeimet,

né en 1977, est romancier et traducteur. Retour à Duncan’s Creek est son quatrième roman.