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Kirmen URIBE

L’heure de nous réveiller ensemble


Kirmen Uribe est un écrivain basque qui écrit en langue basque. (1500 livres s’écrivent en basque chaque année.)
C’est une enquête historique sur la communauté basque depuis la guerre d’Espagne jusqu’à la mort de Franco. Enquête à laquelle l’auteur nous fait participer en décrivant ses découvertes ; une photo, un prospectus, un tableau, des coupures de presse. Tous sont liés  à la saga d’une famille suivie pendant trois générations et qui va incarner cette période historique. Le peintre Antonio Gezala traverse les chapitres par ses tableaux ou par sa présence comme un talisman.

Les héros du roman sont Karmele Urresti  et Txomin Letamendi.
Les Urresti sont originaires d’Ondarroa sur la côte de la province de Biscaye (à 50 km de Bilbao et 20 km de Guernica). Ils vivent de la pêche et possèdent une entreprise de  construction navale. Karmele est infirmière. C’est à Paris qu’elle fait la connaissance de Txomin. Il est trompettiste. Tous deux ont quitté l’Espagne après la destruction de Guernica par les bombes allemandes en avril 1937, « un essai préalable au siège aérien qu’allait subir Varsovie ». Seulement 1% des édifices resta debout à Guernica.
On sait très peu de choses sur l’histoire de ce petit pays qui, pendant la République espagnole, s’était donné un gouvernement et un président : José Antonio Agirre qui fut très actif pendant son exil.

Le gouvernement basque savait dès le début de la guerre civile en 1937  que les « chances de victoire étaient fort minces. Ils espéraient que les démocraties occidentales finiraient par réprimer l’agression franquiste, ce qui ne se produisit jamais ». D’abord parce que les Alliés redoutaient que l’Espagne prenne part à la guerre mondiale auprès de Hitler et il fallait  que l’Espagne reste neutre. Ensuite parce que Franco s’opposait au communisme, comme les Alliés après-guerre.
Le président Agirre s’installe aux Etats-Unis dans l’espoir de convaincre le président Roosevelt de  soutenir son pays. Si les intellectuels et les écrivains en exil comme Hemingway, Einstein,  Malraux, Thomas Mann, Stephan Zweig ont de la sympathie pour l’Espagne républicaine ce n’est pas le cas des élites dirigeantes du pays : « le Vatican avait pris position en faveur de Franco et la plupart des catholiques américains taxaient de communiste le gouvernement déchu. »
À partir de 1941, les services secrets britanniques concluent avec  les Basques un accord. Selon un espion de Churchill, « la collaboration des Basques dans la guerre a été précieuse et ils ont pris de grands risques en aidant les Alliés. » En 1942, ce sont les services d’espionnage américains qui promettent de subvenir aux dépenses du gouvernement d’Euskadi en exil en échange des services rendus. Les agents basques devaient obtenir des informations sur les mouvements des nazis dans la péninsule ibérique. « De nombreux Basques travaillant dans les ports ou étant marins, il ne serait pas difficile de surveiller les allées et venues des navires de l’Axe. »

En Amérique latine où les exilés basques étaient nombreux sur tout le continent, ils devaient contrôler les agents nazis et saboter leurs actions, tout en menant une propagande antifranquiste. On voit  la famille de Karmele et Txomin à l’œuvre au Venezuela où ils sont réfugiés. La vie y est douce mais en avril 1943 ils retournent au Pays basque pour y mener la lutte contre Franco de l’intérieur. Mais les missions sont de plus en plus dangereuses. Txomin est arrêté et les conditions de vie en prison vont le tuer. Karmele retournera au Venezuela en 1953 laissant ses trois enfants en Espagne. La famille ne sera réunie qu’en 1958 à Caracas.
C’est à cette période que nait l’ETA. Certaines de ses actions sont plutôt bon enfant comme répandre des drapeaux basques dans une église pendant la messe. Mais à partir de 1968, l’ETA exécute un tortionnaire reconnu, Méliton Manzanas. Une répression terrible va s’abattre  sur les militants. Jusqu’à cette condamnation de mai 75 où deux militants de l’ETA et trois du FRAP sont exécutés. Cette nuit-là, nous étions dans la rue à Paris, comme tant d’autres à travers le monde…
Après la mort de Franco en 75, malgré le statut d’autonomie accordée aux provinces basques, des militants organisent des actions violentes qui vont toucher des civils. Pour l’auteur  cela ne ressemble pas au « peuple basque si respectueux de la vie. »

L’aîné des trois enfants de Karmele retourne au Pays basque en 67 pour prendre part à la lutte de l’ETA. Il connaîtra lui aussi la prison. La saga familiale est pleine de rebondissements et les personnages autour d’eux sont attachants. L’entremêlement de leur destin avec celui de la grande  Histoire est soigneusement agencé. Pour certains d’entre nous, c’est aussi notre histoire.
On peut lire L’heure de nous réveiller ensemble comme un roman tendre et émouvant, on peut le lire comme une enquête historique passionnante. Il est les deux à la fois.

Quelques mots en euskara dans le texte vous surprendront peut-être, c’est un choix de la traductrice. Bilbao se dit Bilbo, le drapeau basque « ikurrina », Bayonne « Baiona », etc… Les noms de nombreux personnages comportent comme dans toute l’Espagne, un prénom, le nom du père et celui de la mère. Mais on l’appelle couramment par son diminutif. Ainsi, Txomin s’appelle Domingo Letamendi Murua. Créer un lexique peut aider à s’y retrouver à la première lecture...

Nadine Dutier 
(13/11/18)    



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Lectures








Le Castor Astral

(Août 2018)
256 pages - 22 €


Traduit du basque par
Edurne Alegria Aierdi









Kirmen Uribe,
né en 1970 au Pays Basque espagnol, est l’auteur de recueils de poésie, de chansons, de nouvelles, d’essais, de bandes dessinées et de pièces de théâtre.



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