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« L'hiver du mécontentement », ces premiers mots prononcés par Richard III dans la pièce de Shakespeare que répète la jeune Candice au théâtre Warehouse de Londres, ont fait aussi la une du journal The Sun dans l'hiver 1978-1979 pour qualifier le mouvement social d’ampleur qui paralysa plusieurs mois la Grande-Bretagne. Margaret Thatcher fait campagne. On assiste à l’explosion de nouvelles stratégies de communication médiatique avec des épisodes démagogiques comme celui où Margaret Thatcher chausse des bottes en caoutchouc pour la visite d’une ferme ou quand elle manie le balai devant les caméras pour jouer la proximité avec le peuple. Elle sera élue et deviendra en mai 1979 la première femme à diriger le gouvernement d'un pays européen. Sa politique conservatrice sera marquée par un libéralisme économique et un traditionalisme social sur fond de peur du communisme et par une fermeté qui lui vaudra son surnom.
C’est cet hiver glacial où l’ensemble du pays bascule dans un libéralisme sauvage et sans pitié que Thomas B. Reverdy choisit de décrypter à travers la vie quotidienne des classes modestes et celle de ces jeunes gens désabusés qui tentent, en se réfugiant dans les marges, de résister avec toute leur vitalité et leurs rêves à cette société qui ne leur laisse aucune place. Bel artifice littéraire que de s’arrêter sur ces fêtes de Noël, trêve relative dans ce climat de grèves violentes et de choc pétrolier, qui viennent s’intercaler dans une atmosphère à la fois chaleureuse et tragique. « Personne n’a envie de gratter la dernière allumette à Noël, mais on a le sentiment qu’on en est là. C’est l’entrée dans l’hiver du mécontentement. » Mais, grâce à la jeunesse combative de Candice et au théâtre, la lumière et l’espoir, ne sont cependant pas complètement éteinte ou étranglé dans le roman. La fin du livre en est une belle illustration : « Candice était éclairée par la rampe. [...] Elle serre les dents. Elle serre les poings. On l’a prévenue en coulisses, quelques secondes avant qu’elle n’entre en scène, alors une fois parcouru tout le plateau, quand elle se tient au bord de la scène presque en équilibre au-dessus du premier rang d’orchestre, la lumière comme des pleins phares directement sur elle, comme une espèce d’accident, elle relève la tête. On ne voit rien quand on a les projecteurs de face, la salle est un four mais elle la connaît par cœur. Elle lève la tête en l’étirant exagérément, un large rictus sur le visage. Tout le monde sait qui est en joue, au bout de son regard. La pièce peut commencer. La bataille ne fait que commencer : Voici l’hiver de notre mécontentement. » Le roman de Thomas B. Reverdy est aussi une immersion dans la musique écoutée par les protagonistes durant cette période (playlist en fin d’ouvrage) avec pas moins de 35 titres, des Pink Floyd aux Sex Pistols en passant par The Clah, Joy Division ou David Bowie, dont chacun est mis en exergue des courts chapitres. Avec ce roman musical scandé par la phrase titre comme un leitmotiv et déchiré par les riffs et les cris du punk-rock, par une mise en scène efficace articulée entre le tableau politique de quelques années clés, l’interrogation sur le pouvoir et les puissants portée par la tragédie shakespearienne, et l’évocation d’une jeunesse sacrifiée incarnée par l’intimité de deux artistes marginaux, en faisant de l’époque évoquée un personnage à part entière, Thomas B. Reverdy transcende son sujet premier. Au-delà des faits, des dates et du lieu, s’il nous raconte la fin d’un monde et l’avènement d’un autre qui exclut l’humain et ses forces vives et n’en finit pas de se dégrader, il ne s’arrête pas à cette radioscopie sinistre mais tisse des liens entre hier et aujourd’hui pour non seulement dénoncer ce processus destructeur généralisé mais aussi, par ses mots rageurs et caustiques, faire appel à notre analyse, notre réflexion et notre capacité à réagir et à se mobiliser tant qu’il en est encore temps. Après Les évaporés qui évoquait le Japon en plein désastre écologique et économique, Il était une ville sur le cas de Detroit vidée de ses habitants par la crise, Thomas B. Reverdy continue avec L’hiver du mécontentement à scruter méthodiquement et avec cohérence l’effondrement de notre monde. Il n’en finit pas de fouiller les ruines pour y rechercher les hommes, de disséquer les faits pour tenter de comprendre ces virages qui nous ont fait sortir de la route de la raison, délaisser l’humain pour l’argent roi. Dominique Baillon-Lalande (08/10/18) |
Sommaire Lectures Flammarion (Août 2018) 224 pages - 18 € Prix Interallié 2018
Bio-bibliographie sur le site de l'auteur : www.thomas reverdy.com Découvrir sur notre site d'autres romans du même auteur : Les évaporés (Grand Prix de la SGDL et Prix Joseph Kessel) Il était une ville (Prix des Libraires 2016) |
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