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David PASCAUD


Valises


« Une valise discrète est posée contre le mur, près de l'armoire à vaisselle. Sûrement celle de ce jeune homme. Je ne l'avais pas vue en entrant. Un peu esquintée aux coins, la paroi d'un aspect si piteux qu’on ne saurait dire si elle est en carton ou d'un cuir très usé. La double armature est apparente, comme des vertèbres sous la peau d'un être famélique. »

Il y a dans la Meuse, depuis une vingtaine d'années maintenant, une manifestation artistique appelée « Le Vent des Forêts ». Des artistes du monde entier, des plasticiens, viennent, des nouveaux chaque année, construire dans la forêt une œuvre d'art. Le temps qui passe, les intempéries, arrivent à bout de certaines œuvres tandis que d'autres perdurent... Il en est une, nommée Exode et réalisée par Joël Thépault, qui m'a obsédé tout au long de ma lecture des nouvelles de David Pascaud. Quelques voitures à la suite l'une de l'autre s'enfoncent de plus en plus profondément dans la terre, les toits et les coffres chargés de bagages. D'autres valises tombées émergent ça et là et témoignent de la précipitation du départ. Le tout est recouvert d'une peinture noire et se distingue à peine de la terre. Cette œuvre, lugubre, évoque puissamment la fuite de civils devant la guerre. On pense aussi, bien sûr, aux monstrueux entassements d’effets personnels collectés par les nazis dans les camps de la mort. Pauvres valises dérisoires si pleines encore d'espoirs.

Il n'y a pas la guerre dans les douze nouvelles présentées ici mais la même angoisse de ce que sera demain, la peur de la dépossession, de la déportation, de la relégation dans tous ces lieux pour ceux « qui ne méritent plus qu'un statut d'étrangers dans leur propre patrie » alors pour les autres !... Ceux dont les décideurs parlent comme des déchets qu'il va bien falloir traiter. Il y a tout au long de ces nouvelles, si différentes d’époques et de lieux, comme le témoignage d'une constante déshumanisation qui nous guetterait.

Dans la Russie de Poutine, un vieillard se sauve d'un hospice et va mourir dans la neige.
En Europe, un Africain se fait voler ses papiers, il a l'impression de ne plus rien être.
Un homme d'affaires ne voit en l'autre que l'exploitable, ce qu'il peut lui rapporter.
Au Moyen Âge, on tue une femme décrétée sorcière. Ça aurait pu enrayer la peste qui sévit...
Que reste-t-il de nous après la mort ? Quelques objets, un sac à main, des papiers d'identité...

Les deux plus fortes nouvelles de ce recueil sont, à mon avis, la septième, l'histoire fantastique, à la Barbey d'Aurevilly, de ce livre de Tchekhov, un recueil de nouvelles (encore !), qui va rendre fou son trop possessif propriétaire et la glaçante nouvelle intitulée Mon meilleur ami où, sous Vichy, un écrivain antisémite nous déverse sa hargne assassine. Mais est-on vraiment dans les années 30-40 ? Le présent de la nouvelle, comme "perpétuel", nous trouble et nous horrifie. L'histoire ne bégaye-t-elle pas ? Faut-il préparer ses valises ?

« Il suffirait d'ouvrir une valise. Que j'y mette le strict nécessaire. C'est quoi le strict nécessaire ? Que je me barre. Mais je chasse l'idée. Je suis un héros du quotidien. Un héros est un con. »

Sylvie Lansade 
(04/06/18)    



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Le Carnet à Spirale

(Janvier 2018)
100 pages - 16,90 €











David Pascaud


Bio-bibliographie
sur le site de l'auteur :
https://david-pascaud.
iggybook.com/fr/