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Scholastique MUKASONGA

Un si beau diplôme !

Nouvelliste et romancière, Scholastique Mukasonga a déjà évoqué dans ses précédents livres son enfance dans le Rwanda des années soixante et ses études, auxquelles son père attachait tant d’importance, puis la rencontre avec son mari et l’exil, à Djibouti et en France, qui lui ont permis d’échapper au génocide de 1994 où vingt-sept personnes de sa famille ont été massacrées.

Ici, l’angle abordé est celui du diplôme, ce sésame indispensable pour accéder à un emploi et à l’indépendance financière. « En tout cas, concluait papa, c'est ce papier, si tu l'as un jour et il te le faudra, idipolomi nziza, un beau diplôme, c'est ce qui te sauvera de la mort qui nous est promise, garde-le toujours sur toi comme le talisman, ton passeport pour la vie. »

Lorsqu’elle a choisi sa voie, à la sortie du lycée, son frère aîné était pourtant dubitatif.
« Il savait bien que c'était peine perdue d'avance, que mon choix ne serait jamais validé puisque ma carte d'identité por­tait, comme une marque infamante, la mention TUTSI. Mais je ne perdais pas espoir, je voulais décrocher ce diplôme d'assistante sociale qui me permettrait de reve­nir dans les collines, de rester auprès des paysannes, ce qui avait toujours été ma place. »

Au bout d’un an et demi à l’école sociale de Karubanda, l’expulsion des Tutsi  de 1973 l’a obligée à s’exiler au Burundi, pays voisin, où elle a pu reprendre ses études à l’école d’assistantes sociales de Gitega.

Le récit de ces années burundaises est tout à fait passionnant. La vie n’y était pas facile pour une jeune réfugiée tutsi. On y voit la figure sévère de Sœur Mariette qui exerçait une autorité rigoureuse, tant sur le personnel que sur les élèves. On y découvre aussi la solitude de cette jeune fille, sans amis, sans famille et sans argent… Les distractions étaient rares, les livres aussi. Pas de bibliothèque, ni à l’école, ni en ville. Heureusement, elle avait réussi à récupérer un exemplaire du Comte de Monte Cristo dans un séminaire où elle avait séjourné quelque temps avec d’autres filles réfugiées.  « Je le lisais et le relisais. Je le gardais caché sous mon matelas comme le plus précieux des trésors. Les malheurs du pauvre Edmond Dantès me fascinaient. Reviendrais-je comme lui au pays ? Mais faudrait-il comme lui, devenu comte de Monte-Cristo, exercer vengeance ? Ces questions me dépassaient mais, en attendant, l'école d'assistantes sociales devenait mon château d'If et il ne me restait plus qu'à trouver un abbé Faria et son trésor. Comment aurais-je pu deviner que mon trésor serait de pouvoir écrire ? »

Une fois le diplôme obtenu, encore faut-il trouver du travail et, là aussi, les choses ne sont pas faciles. Contrairement à ce qu’elle espérait, une tutsi ne devient pas fonctionnaire au Burundi. Après un moment d’abattement, l’énergie reprend le dessus et la jeune fille se met en quête d’un emploi. Seulement secrétaire ? Soit ! Mais dès qu’une opportunité plus intéressante se présente, elle ne la laisse pas passer et se trouve embarquée dans un projet de l’UNICEF. « Ainsi, pendant cinq années – c'était le temps imparti au projet –, j'ai parcouru les collines de la province pour contribuer à améliorer les conditions de vie des mères et de leurs enfants. Ce fut pour moi une période heureuse pendant laquelle j'exerçai pleinement la profession que j'avais choisie. J'en ai gardé jusqu'à aujourd'hui la nostalgie. J'avais retrouvé une foi indéfectible en mon diplôme. »
C’est dans le cadre de ce projet qu’elle rencontre un jeune Français effectuant son service national. Elle l’épouse et ils ont deux enfants. Quand il est muté à Djibouti, elle pense pouvoir y trouver un emploi mais ne pourra être que bénévole.

Quand la famille quitte Djibouti pour la Normandie,  une grande déception attend la jeune femme. « J'ai vite compris que la France des vacances, la France ensoleillée de juillet et août que nous parcourions de la Normandie à la Côte d'Azur, n'était pas la France du quotidien, celle de la recherche d'emploi : je n'avais pas réalisé que ce diplôme qui, au Rwanda et au Burundi, m'avait coûté tant d'efforts n'avait en France aucune valeur. »
Mais, une fois encore, l’énergie l’emporte sur le désespoir et elle trouve le courage de reprendre des études et de passer un nouveau diplôme d’assistante sociale, français celui-là, une victoire éclatante, une revanche sur l’adversité. Mais c’est l’écriture qui va lui permettre de se réaliser et de transmettre la mémoire des siens, le prix Renaissance de la Nouvelle, le prix Kourouma, le prix Renaudot, et bien d'autres encores, comme de nouveaux diplômes la menant bien au-delà des rêves de son père…

Voilà un livre fascinant, le récit d’un parcours exemplaire, fait de courage et de ténacité, d’énergie et de dépassement de soi, qui se termine sur un retour à Kigali, dans le Rwanda d’aujourd’hui, où tant de choses ont changé depuis le génocide, où les femmes sont majoritaires au Parlement, ce qui est loin d’être le cas ailleurs. C’est le huitième livre de Scholastique Mukasonga, une autrice à lire, à relire et à suivre… Elle a certainement encore beaucoup d’histoires à raconter et de richesses à partager !

Serge Cabrol 
(26/03/18)    



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Sommaire
Lectures




Gallimard

(Mars 2018)
192 pages - 18 €


Folio

(Août 2020)
208 pages - 7,50 €





Scholastique Mukasonga,
née au Rwanda, vit et travaille en Normandie. Autrice de romans et de recueils de nouvelles parus chez Gallimard et repris en Folio, elle a reçu plusieurs prix littéraires dont le Renaudot 2012 pour Notre-Dame du Nil.



Visiter son site :
www.scholastique
mukasonga.net





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