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Alain JASPARD


Pleurer des rivières


Au cœur de ce roman, la relation étroite et complexe qui s'instaure entre deux couples de milieux socioculturels très différents. D'un côté, Meryem et Franck, des gens du voyage, elle yéniche et lui gitan ; de l'autre, Séverine et Julien, elle auteure de livres pour enfants et lui avocat. C'est justement ce métier d'avocat qui va provoquer la première rencontre...

Franck vit tranquillement dans un campement à Argenteuil avec Mériem qu'il aime depuis l'adolescence et lui a déjà donné sept enfants. A priori, il n'a pas de raison d'entrer en contact avec un avocat. Il travaille dans la ferraille ou le bâtiment mais toujours à peu près légalement. Le malheur avec Frank c'est son sens de l'amitié et notamment avec Sammy : « c'est son pote mais c'est pas un chanceux, ça non. Il enchaîne les emmerdes depuis quarante ans ». Quand Sammy l'entraîne dans une affaire de vol de câbles en cuivre, Franck tente de refuser mais il n'a pas le courage de laisser tomber son ami dont le camion a rendu l’âme.

Le roman fonctionne beaucoup en flash-backs. Le résultat de l'opération cuivre, on le connaît vite, mais les détails, on les lira plus tard.

Entre temps, on fait connaissance avec Séverine et les histoires qu'elle écrit pour les enfants. Elle adore son métier et son mari, tout pourrait être pour le mieux dans le meilleur des mondes, et pourtant elle pleure souvent sans qu'on sache tout de suite pourquoi.

Outre la construction, c'est aussi l'écriture qui peut surprendre le lecteur. L'auteur enchaîne parfois de longues phrases, avec des inserts d’humour, des questions, des réponses et autres  digressions…

L'opération cuivre a conduit Franck et Sammy devant le tribunal où Julien est commis d'office pour les défendre. Franck s’en tire avec du sursis et Julien le ramène en voiture jusqu'au campement. « Il est bonnard l'avocat, à la sortie du tribunal, il a déposé Franck à la caravane et Franck lui a offert un coup, du raide breton, l'avocat il a pas molli, il s'est engoulé ses trois p'tits verres dans la tasse à café, ça l'a rendu bavard. Il a trouvé que la caravane était confortable et bien tenue, ça a fait plaisir à Mériem, elle était toute rose de plaisir, il a trouvé aussi que tous ces mômes qui courent et se chamaillent, c'est joyeux, c'est la vie, on voit bien que c'est pas lui qui la nourrit la joyeuse vie. Justement c'est son problème il a dit, ils sont mariés depuis huit ans, avec sa femme ils veulent un enfant mais ils y arrivent pas, pour baiser ils baisent, mais rien, pas l'ombre d'un bébé, sa femme ça la rend folle et lui ça fracasse son cœur de la voir comme ça, toute déconfite chaque fois qu’elle a ses règles, verser des torrents de larmes, pleurer des rivières, il a dit ça textuellement, en plus elle a quarante-trois ans, bientôt ce sera trop tard. À ce propos, Franck lui apprend la dernière, Mériem attend un huitième. »

Voilà on a compris pourquoi Séverine ne peut s'empêcher par moments de « pleurer des rivières »...
Et c'est la raison pour laquelle elle va venir à son tour au campement et s'immiscer dans la vie de Mériem qui, peu à peu, trouve cette amitié agréable et gratifiante. Mériem « aimerait tant rester amie avec cette femme, elle l'aime déjà, elle sortirait du campement, des Gitanes médisantes, elle fréquenterait du monde, peut-être elles iraient au théâtre, au vrai théâtre avec des fauteuils rouges comme dans les films à la télé, elles s'inviteraient à dîner, elles feraient des courses ensemble, pas chez Kiabi ni chez Tati, non, au Monop, chez H&M, pas qu'elle se pousse du col mais voir autre chose que l'aire de nos amis du voyage, elle en sourit d'avance. »
Voilà, on n’en dira pas plus sur cette relation qui va faire de Mériem et Séverine les personnages principaux du roman. Quels que soient leurs soucis, leurs manques, leurs difficultés, l’auteur fait parler ces deux femmes, de leurs rêves, de leurs désirs, de leurs envies. Elles se comprennent, s’apprécient, se respectent, se complètent.

Dans le campement d’Argenteuil ou l’appartement parisien, l’auteur nous montre avec la même empathie, les pensées des unes et des autres. La langue est parfois verte, souvent drôle, mais jamais méprisante ou accusatrice, toujours respectueuse, même quand les propos ou les actes s’éloignent des sentiers battus du conformisme ou de la légalité…

Serge Cabrol 
(17/09/18)    



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Lectures








Héloïse d’Ormesson

(Août 2018)
192 pages - 17 €















Alain Jaspard,
né en 1940, réalisateur,
a signé plusieurs adaptations de livres jeunesse en séries
pour la télévion.
Pleurer des rivières
est son premier roman.