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Manu CAUSSE

Oublier mon père



Fin des années 80. Alexandre vit dans l'Aveyron entre son père Paul, animateur sportif, et sa mère Mado, documentaliste en disponibilité. Paul est un père souvent absent et maladroit pour témoigner son affection. C’est au travers de ses passions, le ski et surtout la photo qu’il réussit à créer un lien avec son tout jeune fils tenu d’une main de fer par une mère possessive, acariâtre et à la main leste.  Les relations du couple sont tendues.  L’enfant est effacé, d’un naturel doux, rêveur, solitaire et d’une santé fragile. Un jour, le père parti en Suède pour une compétition de ski disparaît. Alexandre, neuf ans, apprend sans ménagement de la bouche de Mado qu’il a été tué dans un accident de voiture au retour. Il obéira à la consigne immédiatement édictée par sa mère, entre eux du père il ne sera plus jamais question.
À la fin de l’année scolaire ils déménagent à Séméac, dans la banlieue de Tarbes. La documentaliste s’y est vu attribuer un poste avec logement de fonction qui lui permettra de les faire vivre tous les deux. Dans l’établissement la veuve laisse vite s’exprimer son caractère acrimonieux. Si elle terrorise ainsi les élèves comme les enseignants, cela s’avère cependant un exutoire à sa violence suffisant pour qu’elle ne ressente plus le besoin de frapper son fils pour la moindre contrariété. C’est dans un registre dorénavant purement psychologique que l’autorité et le désir maternel de  domination s’imposeront à ce garçon docile et craintif devenu bien évidemment dans le même temps la cible idéale des gamins endurcis qui passent le temps à harceler les «tapettes» et les plus faibles. Quand il le peut, Alexandre s’isole au club photo et dans la chambre noire. Adolescent il  sera diagnostiqué anorexique, épileptique, atteint d’une forme rare de vertige ou d’un problème d’oreille interne, de paralysie motrice de l’œil pour expliquer ces migraines qui le ravagent... Bref les diagnostics se succèdent et se contredisent sans que personne n’y comprenne rien. Malgré une scolarité chaotique due à son état de santé le garçon obtient le bac à 18 ans avec une mention Bien. C’est alors que la santé de sa mère, atteinte lui révèle-t-elle d’une tumeur incurable au cerveau, se dégrade. Pour rester près d’elle le garçon renonce aussitôt à l’école de photographie de Toulouse où il s’était inscrit pour entrer en apprentissage chez un vieux photographe de Tarbes. Il en épousera la fille et restera à la boutique dont il assurera la gestion après la mort de son ex-patron jusqu’à ses trente ans.
Après un divorce où il perd tout mais qui se déroule sans cris ni pleurs, il s’éprend d’une jeune institutrice passionnée de photographie et partage sa vie dans le Gers durant sept ans. C’est alors que brutalement sa santé mentale bascule. Les syncopes se multiplient, accompagnées dorénavant d’hallucinations qui pourraient le rendre dangereux pour les autres et pour lui-même. Alors la décision de l’interner en psychiatrie s’impose d’elle-même. Il y restera sans réelle velléité d’en sortir pour retrouver une vie «normale» pendant dix-huit mois. La suite n’est qu’une lente chute jusqu’à un coup de fil de Suède qui à quarante ans va tout bouleverser...

 

La photographie, l’alcoolisme, la violence, la folie, le manque d’amour, le doute, la fuite, l’homosexualité, le couple, l’amour, voilà en vrac tous les sujets qui émergent de cette histoire racontée par Alexandre. Une tranche de vie de plus de trente ans mise à nue par Manu Causse pour le lecteur comme une série de photographies prenant sens alignées les unes à côté des autres.

Il y a chez Manu Causse une bienveillance respectueuse et généreuse dans sa façon de camper tous ses personnages, même les plus durs qui sont aussi les plus en souffrance. Et ils sont nombreux ceux qui gravitent autour d’Alexandre, cet être différent enfermé dans sa tête et sa douleur jusqu’à l’asphyxie. Si cela en fait une victime idéale pour certains, si d’autres aussi abîmés que lui ne font que partager sa chute, deux femmes (Anne et Johanna) devinant  en lui une lumière, font tout pour l’aider à chasser ses démons. La quête sera longue, les tentatives plus ou moins heureuses, les rechutes nombreuses mais l’une d’entre elles trouvera la clé pour ouvrir la porte de sa prison  et faire la paix avec son passé.

Oublier mon père est un texte fort sur les ravages produits par le mensonge quand il devient le socle de la construction d’un enfant et la fuite dans la maladie et la folie qui en suivra. L’enfant devenu adulte  s’y enlisera plus profondément d’année en année jusqu’à côtoyer l’enfer. Mais cette vérité masquée qui se dérobe depuis si longtemps à lui finira un jour par éclater avec dans son sillon l’apaisement. C’est sur un horizon dégagé et une libération que se termine cette quête identitaire troublée et troublante qui nous entraîne au plus profond des replis de l’âme humaine.
Mais si certaines scènes frôlent le tragique et que la folie, à travers la mère, Cécile et Alexandre, dans sa brutalité et avec ses ravages, est très présente dans le roman, l’amour et l’espoir qui jamais ne disparaît totalement viennent faire contrepoint et installent en filigrane l’hypothèse d’une réconciliation du personnage avec la vie toujours possible, même au pire des moments. Le lecteur qui accompagne avec empathie et émotion Alexandre au fil de ces années d’ombre et de lutte apprécie cette renaissance presque magique du personnage dans le calme et la lumière de ce paysage enneigé au cœur de l’hiver nordique que lui offre de manière très romanesque l’auteur.

L’histoire se déroule chronologiquement sur le premier tiers du livre pour s’articuler ensuite autour d’une alternance dans le temps et l’espace entre l’enfermement et la libération, la France et la Suède. Cela a pour effet de rythmer de façon dynamique le récit et d’alléger la noirceur de certains passages. La langue de Manu Causse sait se faire discrète et efficace, au plus près des personnages et de leur personnalité. La grossièreté inouïe de la mère outre son aspect dérisoire et dérangeant  révèle ainsi sa violence et sa folie plus sûrement qu’une explication. De nombreux dialogues accentuent l’aspect direct et non analytique ou documentaire du récit et certaines scènes (celle du patin dans la cour de récréation, de la rencontre avec Anne…)  sont très cinématographiques. La cocasserie peut aussi par moment s’y faire une place.

Ce texte poignant sur la détresse d’un enfant emmuré par une mère folle qui mettra des années à s’affranchir d’un passé falsifié pour se reconstruire mais aussi sur la parentalité comme l’auteur l’a fait précédemment dans son excellent roman sur le rapport entre un père et son fils autiste dans La 2 CV verte trouve des résonances en chacun de nous. Mais dans un parti-pris très affirmé c’est aussi un livre profond sur la vie, fait d’ombre et de lumière mais optimiste et lumineux, que nous offre ici Manu Causse. « Je fais glisser mes skis sur la neige. A l’est, le ciel s’éclaire. »

Dominique Baillon-Lalande 
(03/09/18)    



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Denoël

(Août 2018)
304 pages - 20 €


















Manu Causse
a grandi dans l’Aveyron.
Il a quitté l’Éducation nationale il y a dix ans pour se consacrer à l’écriture et à la traduction. Il vit à Toulouse avec sa compagne, écrivain elle aussi, et leurs enfants.



Bio-bibliographie
sur son site :
www.manucausse.net





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