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Jean-Daniel BALTASSAT


La tristesse des femmes en mousseline


Un roman, à propos de, et sur le beau, l’art, les femmes dans l’art. Un roman sur ce qui se passe dans les têtes des « femmes en mousseline », celles qui posent, ou peut-être aussi celles qui peignent, et celles qui aiment.
Un roman à l’écriture inspirée, magnifique de subtilité poétique. Une construction qui au début semble nous promener, alors qu’elle nous accompagne fermement sur le chemin proposé par l’auteur.
Un roman qui nous prend par notre intelligence, notre sensibilité, notre amour de la peinture, nos émotions ou nos souvenirs…

Tout commence chez Paul Valery : « La pendulette disposée à côté du téléphone affiche l’heure et la date : seize heures quarante-huit, 20 février 1945. Un petit paquet de temps déjà figé et si l’on y songe, se flétrissant dans le souffle sec remontant de la falaise du passé. »

Mais au fil des pages nous rencontrerons non seulement Paul Valery et Berthe Morisot – car c’est bien d’elle qu’il va s’agir – à différentes périodes, mais aussi Degas, Mallarmé, Manet, et quelques autres. De quoi s’imaginer les fréquenter un peu, ou en tout cas découvrir ce que l’auteur veut nous en dire. Et se retrouver à l’écoute de leurs propos, de l’histoire de leurs œuvres, comme si tout d’un coup nous étions invités à ces « mardis » chez Mallarmé par exemple.

Voilà pour le contexte, ou le « fond » de ce tableau d’écriture !

« Sous la lampe, l’aquarelle de Morisot – Lisière, forêt de Fontainebleau, août1893 – est toujours dans sa marie-louise brunie. Un œuvre connue pour ainsi dire les yeux clos […] Un souffle du fond du monde, une transparence de l’au-delà pourrait-on dire. Trois fois rien. Un prodige. »
Paul Valery, lit dans le journal de Berthe Morisot la page où elle parle des circonstances et de l’atmosphère où elle a peint cette aquarelle. Car après la mort de l’artiste, Paul Valéry a pu avoir accès à ses carnets, légués à sa fille Julie. Carnets qu’il est autorisé à recopier, sorte d’intimité supplémentaire que l’auteur nous souffle afin de nous en montrer toute la saveur, et l’intérêt.

Et Berthe Morisot, également modèle de Manet, d’évoquer ce qu’elle ressent alors : « Encore et encore sur le morceau de ma robe. Je fixe la grotte et ne peux le regarder peindre. Pourtant, il me semble parfaitement deviner les mouvements de sa brosse sur la toile. Elle ne pose pas la couleur. Elle flotte en caresses. Elle ne s’exténue pas, ne doute pas ». Mais justement qui pourrait dire mieux qu’elle, qui pose pour le maître et qui sait la peinture : « On pourrait croire que son pinceau se pose directement sur soi. On le sait à la brulure que cela produit. »

Plus tard, Berthe Morisot relira ses carnets retrouvés et notera aussi : « Tout est là intact sous la peau. Un frôlement et tout vous revient. Le bonheur de l’impossible, la folie et ses tourments. La vieillesse du corps n’y peut rien. Les émotions renaissent à l’identique, même brouillées jusqu’à l’amertume par le goût de l’irrémédiable. Et me voilà ce matin, la plume entre les doigts aussi crissante des nerfs que j’étais alors.»

Elle nous parle aussi de la peinture, celle des femmes, à propos des critiques, soi-disant élogieuses qu’elle nous retransmet telles qu’elles sont formulées alors « pages délicieuses, réconfortantes […] adorable délice, délicate sensation de femme » etc., etc.,et que bien évidemment elle récuse : « Il n’y a qu’un art il n’est ni d’homme ni de femme. Toutes ces distinctions, toutes ces mascarades d’idées imbéciles reviennent époque après époque comme une houle abrutissante. Le mâle dessin et la féminine couleur, cette soi-disant féminité de la manière impressionniste ; les adorables délices et les délicates sensations sont à mourir d’abattement. »

Car, comme elle l’aura précisé à Degas : «  La peinture des femmes, pour vous les messieurs de la peinture, tous autant que vous êtes, vous n’y croyez pas une seconde. Nous les femmes, nous sommes faites pour être portraiturées, nues ou vêtues, ou pour le mariage, ce qui est la même chose. Mais l’art, ah ! l’Art ! Ce n’est pas pour nous! »

Combien il est difficile de ne citer que quelques passages de ce livre si dense, de même que le choix, quasi hasardeux et personnel, d’en révéler quelques-uns, est une gageure.

Car ce roman, de Jean-Daniel Baltassat qui a su accaparer toute notre attention, curiosité, est un pur délice : pour la pensée qui s’enrichit à chaque ligne, pour la connaissance qui nous surprend, pour ce goût qui nous vient et ne nous lâche plus, pour cette lumière des mots, pour la poésie de la peinture.
Et si, en faisant dire à Berthe Morisot « Nous avons la vie que nous vivons, et puis la vie que nous nous racontons. Avec le temps c’est celle-ci qui devient notre chair et notre vérité », Jean-Daniel Baltassat nous montrait bien cette vie qu’il écrit, et qu’il nous transmet ainsi depuis « sa vérité » !

« Cette Lisière, forêt de Fontainebleau de 1893, ce trois fois rien de troncs d’arbre, ce prodige de bleu aqueux, de taches vertes, de carmin transparent, de liquidités flottantes, volantes, de transparences qui ont tiré à Berthe ces deux mots impossibles, l’excès d’amour. »
Tout est dit !

Anne-Marie Boisson 
(17/09/18)    



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Calmann-Lévy

(Août 2018)
336 pages - 19,50 €













Jean-Daniel Baltassat,
né en 1949, a étudié l’histoire de l’art, du cinéma et de la photographie, et publié plus de vingt ouvrages, sous son nom ou sous pseudonyme. Son dernier roman, Le Divan de Staline, a été adapté au cinéma par Fanny Ardant, avec Gérard Depardieu et Emmanuelle Seigner.