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Carole ZALBERG


Je dansais




Un titre léger pour un sujet grave. « Je dansais. Du matin au soir je dansais. C’est ce que je faisais. Avant lui. » Ainsi commence ce roman aussi dur que salutaire. Dur parce qu’il évoque l’enlèvement et le viol d’une fillette, salutaire parce qu’il passe de l’individuel au collectif, s’ouvre à toutes les victimes d’enlèvements et de viols, lycéennes au Nigéria ou yézidies en Irak. Parce que ce livre est constitué de voix qui prennent la parole en alternance, à la première personne du singulier ou du pluriel.

La première qu’on entend est celle de Marie, treize ans, séquestrée depuis trois ans dans une cave. Elle évoque son bourreau en partant de ce regard échangé dans la rue dans une autre vie, quand elle avait dix ans, qu’elle allait à l’école, avait un amoureux et des parents sévères mais aimants, qu’elle dansait et adorait parler.

La deuxième voix, c’est celle du « monstre », l’homme blessé dont le visage est « un désastre de chair ». Il revoit lui aussi ce regard échangé dans la rue avec cette fillette qui n’a pas baissé les yeux comme le font tous les autres tant son apparence est insupportable.

On pense à une variante de La Belle et la Bête, sauf que la belle, ici, avait dix ans, qu’elle n’est pas venue d’elle-même mais a été enlevée, séquestrée, violée, par une bête qui ne se transformera jamais en prince charmant. Ils cohabitent depuis trois ans et chacun, en chapitres alternés, raconte son quotidien et son passé.

Marie évoque son rapport à la nourriture. Avant, à la maison, quand elle était petite, elle ne pouvait rien avaler si son père n’était pas là. Ici, elle a commencé par refuser « tout en bloc : eau, nourriture, paroles. Il n’obtenait de moi que des tremblements. [...] J’ignore combien de temps j’ai tenu sans manger, sans boire ni me laver. ». Mais elle choisit de continuer à vivre même si parfois l’idée d’en finir réapparaît. « Il a brûlé devant moi les morceaux de corde quoi me retenaient aux montants du lit. S’il les avait abandonnés là, j’aurais peut-être fini par me pendre... »

Edouard, le violeur, repense à son enfance jusqu’à cet accident qui l’a défiguré, qui en a fait un monstre dont personne ne pouvait supporter la vue, jusqu’à cette petite fille croisée dans la rue dont le regard ne s’est pas détourné, cette fillette qu’il a suivie pendant longtemps avant de l’enlever, de la séquestrer et de la violer en l’appelant « ma princesse, ma petite déesse miraculeuse, ma si jeune promise. »

D’autres « je » encore. La mère, le père, le petit amoureux qui ne cesse de penser à elle... L’attente et l’incertitude, les souvenirs, les regrets, la colère, la souffrance, la haine...

Et puis ces « nous » qui s’intercalent dans le récit et donnent la parole à toutes ces jeunes filles enlevées, réduites à l’esclavage, vendues, violées, tuées...
« Et nous sommes les femmes prises sans répit tout au long de l’histoire humaine.
Nos petites encore fraîches, données en pâture au sexe violent des soldats, à l’éboulis que sont leurs corps de pierre sur nos corps duveteux, puis, quand tout en nous s’est éteint, quand nul ne voudra plus nous reconnaître, quand nous serons l’abîme sous les pieds des vivants, jetées, livrées aux crachats ou finies à la machette, à la kalach, à mains nues. »

Un livre fort, violent, nécessaire, qui rappelle que rien ne peut expliquer ou justifier les violences faites aux femmes, chaque jour depuis la nuit des temps et encore aujourd’hui, ici et maintenant, des voix qui crient qu’il ne faut pas se taire, qu’il faut lutter, résister, ne rien pardonner, ne rien accepter. Un livre dont on sort en colère contre la folie des hommes, contre ces monstruosités commises à cause de pathologies individuelles, collectives, guerrières ou religieuses. Un livre qu’on voudrait faire lire au monde entier pour faire résonner ces voix, briser le silence, ne pas fermer les yeux, ne jamais oublier. Plus qu’un livre, un acte fort contre la barbarie.

Serge Cabrol 
(01/02/17)    



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Lectures










Grasset

(Février 2017)
162 pages - 16 €








Carole Zalberg,
romancière et poète, animatrice d'ateliers d'écriture en milieu scolaire et de rencontres littéraires, auteur d'une douzaine de livres, travaille également à des projets en lien avec le cinéma ou le théâtre.



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