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Dans une ville du Portugal, en allant chercher son petit-fils Henrique à l’école, Abílio, son grand-père qui sur le chemin râle contre les pigeons, les nègres, ses voisins et surtout sa femme tant la vie lui pèse, apprend que le petit s’est fait renverser par une voiture à l'entrée de l'école et qu’il se trouve aux urgences. Très vite, Henrique s’est montré « un bébé froid » et absent. Mais il a fallu du temps pour que ses parents, un couple d’intellectuels lisboètes, ose voir la vérité en face. Ils l'ont si fort désiré cet enfant qui s'avère coupé du monde, dont les mains s'agitent quand il est submergé par l'émotion, qui ne parle pas, n'exprime ni volonté ni désir. L'idée affleure bien sûr que l’enfant est spécial, qu’il a peut-être quelque chose mais chacun garde pour lui ses doutes de peur d'entrer de plain-pied dans une réalité trop douloureuse. Sur ce sujet de l'autisme souvent traité en récit de vie ou en littérature comme dans L’enfant bleu où Henry Bauchau narre l’accompagnement par un psychanalyste d'un autiste qui s’avère posséder des talents artistiques évidents, la voie choisie par Valério Romão se distingue clairement en ce qu'elle se penche davantage sur les conséquences de l'autisme sur l'entourage que sur le malade lui-même. Il s'arrête sur la souffrance spécifique de chacun, le sentiment de paternité ratée de Rogério, les difficultés du couple à se retrouver dans cette épreuve. De cet acharnement désespéré contre l'autisme naît un vide qui s’élargit jusqu’à emplir tout l’espace. Le roman se concentre autour de l'attente à l'hôpital, les propos échangés s'organisant entre leur situation présente d’empêchés, l'avant et l'après de la naissance d'Henrique, la bombe du diagnostic de sa maladie. Et tout comme l'épisode kafkaïen de l'attente aux urgences est une métaphore de la vie quotidienne des parents seuls et impuissants face à la maladie de leur fils, la porte hermétiquement fermée illustre l'autisme de l'enfant qui faute de parole reste une énigme aux siens. L'autisme lui-même renvoie aux adultes qui malgré les paroles qu'ils émettent sans cesse peinent à se parler vraiment que ce soit à cause d'une volonté de ménager l'autre ou par simple incompréhension mutuelle, à leur propre difficulté pour communiquer. Ce récit non linéaire et non chronologique qui reflète l'esprit enfiévré des protagonistes, qui se tend jusqu'au bout sur le suspense du sort de l'enfant après son accident, est naturellement porté ici par l'auteur de façon crue voire violente, comme un écho de la colère de ces adultes incapables de trouver un sens à ce qui leur arrive. L'auteur, père d'un enfant autiste, a privilégié la fiction au témoignage afin de pouvoir s'autoriser en toute liberté et toute décence une distance propice à l'intersubjectivité, l'humour, la causticité et à l'autodérision que le désespoir se choisit parfois comme compagnons. Une situation absurde peut ainsi virer brutalement au comique lorsque la tension se fait trop forte. Cet ouvrage est le premier maillon d'une trilogie, Paternidades falhadas, sur ces paternités qui ont échoué devant la maladie (Alzheimer, autisme) ou la mort. Un premier roman sélectionné pour le prix Femina étranger en 2016, complexe mais juste, courageux, rageur qui, s'il nous bouleverse, parvient aussi à nous faire réfléchir sur la parentalité, le handicap, le couple sous un point de vue élargi, original et intéressant. Un auteur à suivre. Dominique Baillon-Lalande (01/08/17) |
Sommaire Lectures Chandeigne 392 pages - 22 € Traduit du portugais par Elisabeth Monteiro Rodrigues
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