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Nathalie QUINTANE

Que faire des classes moyennes ?


À la date du 19 janvier 2017 de L’Autofictif, son journal littéraire, Éric Chevillard observe : « Aucune invention stylistique, pas une métaphore, pas un trait d’humour paradoxal ou de poésie, la littérature aujourd’hui célébrée développe l’écriture grise et neutre qui convient à son propos sociologique. »

À première vue, la publication du nouveau texte de Nathalie Quintane, Que faire des classes moyennes ?, pourrait apporter de l’eau à ce moulin critique et donner raison à l’auteur de Ronce-Rose ? En réalité, il n’en est rien. Loin de se dérober à cette question éponyme, qui relève en effet des sciences humaines, le texte qui s’ensuit ne cesse d’obliquer, de s’ouvrir des chemins de traverse, de prendre à contrepied la langue identifiable de la sociologie, de la contaminer de l’intérieur, de l’infecter – à l’image d’un système informatique – de vers et de virus. Disséminées ici et là, métaphores, images, aspérités, saillies humoristiques, comparaisons inattendues et étincelles poétiques viennent faire trébucher une langue, un technolecte comme l’appelait Roland Barthes, habituellement constituée en discours, d’en altérer les fondamentaux, les attendus, les données, chiffrées ou non, les déductions, la logique générale. Ainsi vole-t-on de surprises en étonnements, en petites commotions comme en témoigne ceci par exemple, à la suite d’une analyse de différents diagrammes, ici en forme de Montgolfière, là de bouteille de Perrier :
« Complétons les métaphores identitaires par celle du morceau de sucre et celle de l’armoire à glace, que j’ai repérées quelque part dans mon surf. Par quoi commencer ?
L’armoire à glace ?
Le morceau de sucre ?
Si j’opère chronologiquement, ce sera l’armoire à glace.
Allez, allons-y avec le morceau de sucre.
Nous connaissons tous le canard. Nous avons tous, au moins une fois, fait un canard au café : il s’agit de tremper un morceau de sucre (blanc si possible, pour mieux visualiser l’érosion continue du sucre et sa disparition progressive) dans un alcool fort, type poire, prune, génépi, ou dans du café. Au début, les parties supérieure et moyenne semblent intactes, cependant que le café ou l’alcool montent par capillarité de la partie inférieure immergée jusqu’à la dégradation relativement rapide de la totalité du morceau. Eh bien, c’est exactement ce qu’on dit que les classes moyennes pensent d’elles-mêmes : nous sommes un morceau de sucre blanc qu’on a trempé dans un corps liquide étranger couleur café ou glauque (le génépi, par exemple) qui est en train de remonter par capillarité et de nous absorber et de nous submerger. On parle souvent de la peur de déchoir, de chuter, de tomber, des classes moyennes : en fait, la crainte de la noyade est au moins aussi forte – ce que nous montre la théorie du morceau de sucre.
À présent, l’armoire à glace. »

À quoi bon ? penserez-vous. Peut-être la réponse est-elle logée dans les propos d’Éric Chevillard. Parce que c’est une langue qui désormais domine, qu’elle s’est désolidarisée du vivant, de la respiration du monde, de ses tremblements. Et qu’il appartient à la littérature précisément, c’est l’une de ses missions à n’en pas douter, d’aller contre la tyrannie du discours, sa puissance d’aveuglement, d’effondrer ses maçonneries, d’en saper la verticale autorité. Les grands écrivains, les écrivains importants, tous ceux avec lesquels nous avons pris date, n’auront, au fond, jamais rien fait d’autre.

Roland Hélié 
(01/03/17)    



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P.O.L.

(Novembre 2016)
112 pages - 9 €







Nathalie Quintane,
née à Paris en 1964, a déjà publié une vingtaine de livres dont 14 chez POL.



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