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Collectif       (Les 12 lauréats du prix du Jeune Écrivain 2017)


Le Domaine des oiseaux
et autres nouvelles



C'est avec l'enthousiasme d’un aventurier à la recherche d'un trésor caché qu'on lit les recueils du Prix du Jeune Écrivain qui, pour cette 32e édition, a élu douze textes parmi les 965 manuscrits reçus par le jury sous la houlette, pour 2017, de Mohamed Aïssaoui.

Les écrivains en herbe retenus sont cinq filles et sept garçons de 16 à 26 ans. Leurs textes sont brefs, denses, cruels, à la chute acérée. Ils ont tous une tonalité tragique et tournent autour de la mort que ce soit celle amenée par la maladie, le suicide ou le meurtre, ou que ce soit, dans quatre nouvelles de science-fiction, la mort de notre monde laissant la place à un monde, si possible, plus inhumain encore.

J'avoue avoir été particulièrement remuée par le réalisme poétique du texte d’Élise Leroy (la plus jeune), L'homme étranger, qui raconte avec une douce et nostalgique cruauté, le retour dans un petit village du bord de mer, pendant un bal, de celui par qui le scandale est arrivé quinze ans plus tôt. Un amour entre garçons, l'un s'est suicidé, l'autre, depuis, erre sur la terre. C'est beau comme Quai des brumes en solaire !
« Lentement, en douceur, l'étranger m'a montré que le monde ne se limitait pas à l'école, aux petites rues pavées et aux couchers de soleil écarlates ; qu’il y avait d'autres villes derrière la mer, d'autres sons, d'autres visages qui n’attendaient que moi, si seulement je le voulais. Et pour la première fois de ma vie, j'ai désiré partir. »

J'ai été secouée par la violence du style de la jeune Mitsonca Célestin dans sa nouvelle Corps-Ouvert. Style aussi fort, brutal, haletant que ce que raconte le narrateur payé avec deux autres acolytes pour foutre la merde, au sens propre comme au sens figuré, dans une petite ville d'Haïti et qui finit par assister au lynchage de son complice.
« Un séisme humain engloutissant maisons et rues. Une force qui abattait les pylônes. Le peuple ne se cachait plus, il mâchait la ville comme on mâche une viande crue. Ça rugissait les besoins refoulés, les déceptions facilement acceptées. Il était à la lune le peuple, mais contre qui ? Mais pourquoi ? La merde étalée sur la route nationale était le fruit du gouvernement actuel ou celui de l'opposition, peuple n'avait plus besoin qu'on crie à sa place ses cris, peuple cherchait un coupable, peuple voulait un trou pour vider sa hargne et les vomissures d’une gueule de bois trop longtemps supportée. »

J'ai été atterrée par l’intrusion soudaine de l'horreur dans le train-train paisible et heureux d'une petite communauté « à une centaine de kilomètres de la capitale. Les Conakriens savent moins de choses sur nous que sur nos manguiers. » Bienvenue Éric Damiba décrit les ravages d’Ébola à Kankan où « les gens avaient été heureux comme pour la dernière fois. »
« Au réveil. Kader a ouvert ses yeux en même temps que la mort. Une haleine de fourneau se dégageait de son corps, son drap avait presque brûlé, il souffrait terriblement et ses jérémiades ne franchissaient pas la clôture de ses lèvres, la couleur de ses yeux s'était troublée. La fièvre forgeait son corps comme un métal mou. Il a vomi douloureusement une matière noire, charbonneuse. »

J'ai été stupéfiée par l'horrible originalité du récit de Jérôme Tousignant où un petit garçon assiste à la lente décomposition de sa mère.
« J'ai couru pour la rejoindre.
˜ Maman ?
D'énormes morceaux d’elle se détachaient.
– Maman !
Elle s'est émiettée sous mes yeux.
– MAMAN !
Je suis arrivé trop tard ; le vent mêlait ses particules aux grains de sable, la mélangeait à la plage. […] Avec les dernières particules de maman qu'il me restait, j'ai formé un mélange boueux de sable et de mère, j'ai fait de maman un château de sable. »

Je ne peux pas ne rien dire des magnifiques troupeaux de rocailles vivantes qui peuplent notre planète devenue lunaire et sans couleur depuis la mort du soleil et son remplacement par l'étoile Nyx dans la nouvelle de Timothée Dury, Au commencement parlaient les pierres.
« Sur le plateau désert, le troupeau de rocailles se déplaçait avec une lenteur minérale. De sa houlette en bois ornée de grelots de pierres, Al les guidait, comme il l'avait fait ces trente et une dernières années, comme son père l'avait fait avant lui, et tous ses ancêtres. Les grelots, en s’entrechoquant, produisaient des infrasons inaudibles pour une oreille humaine qui n'y était pas habituée, qui orientaient les rocailles vers les aires saturées de poussière et de particules qui, s'agrégeant à leur structure propre, les faisaient croître par accrétion. »

Les sept autres nouvelles valent autant le détour mais je suis trop longue ! 2017 est un beau recueil, un bouquet prometteur...

Sylvie Lansade 
(16/06/17)   



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Lectures










Buchet-Chastel

(Mars 2017)
320 pages - 20 €




1er Prix
Le Domaine des oiseaux -
comme on dit l'avant jour
Anna-Livia MARCHIONNI, 24 ans,
Rosselange

2e Prix 
Maman est un château de sable,
Jérôme TOUSIGNANT, 25 ans,
Montréal (Québec)

3e Prix 
La Jeune fille en bleu
Laure PAINCHAUD,
20 ans,
Québec (Québec)

4e Prix 
Elle s'appelait Baby,
Baptiste GOURDEN,
26 ans, Paris

5e Prix
Une pièce pour le passeur,
Johan BOECKMANS,
26 ans,
Binche (Belgique)

6e Prix
L'Homme étranger,
Elise LEROY, 16 ans,
Beauvoir-sur-Mer
 
Les autres lauréats

Corps-Ouvert,
Mitsouca CELESTIN,
18 ans,
Petit-Goâve (Haïti)

L'Hôte de la mort,
Bienvenue Eric DAMIBA, 21 ans,
Burkinabè vivant à Mostaganem (Algérie)

Au commencement parlaient les pierres,
Timothée DURY, 19 ans,
Hermival-les-Vaux

Bête de somme,​
Laurent GIVRON, 25 ans,
Court-Saint-Etienne (Belgique)

​"Mister Lonely",
Marion GUILLOUX,
26 ans, Nantes

Bêtes à cendres,
Baptiste MONGIS,
25 ans, Léguevin




On peut lire la préface de Mohamed Aïssaoui et les trois premières nouvelles du recueil sur le site de l'éditeur. Cliquer ici.