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Pierre PÉJU

Reconnaissance



Depuis Annie Ernaux et son Journal du dehors, on sait que le monde et les humains qui l’habitent sont des sources inépuisables d’histoires dont le romancier, s’il le souhaite, n’a qu’à se saisir. Pierre Péju a dû s’en souvenir pour écrire Reconnaissance. À moins qu’il ne se soit rappelé Pierre Boulez, lui qui aimait dire que tout compositeur et, au-delà, tout artiste est un prédateur. Car Reconnaissance est ainsi fait : un auteur-narrateur part à la chasse du monde.

Tout commence simplement. L’auteur est en cours d’écriture d’un nouveau roman mais, fatigué, lassé de ses mots, il part randonner. Après une journée de marche et surpris par la pluie, il se réfugie dans un chalet. Un homme entre en même temps que lui, les deux s’ignorent, vont se coucher puis vient l’aube et, avec l’aube, tout bascule.

Ces hommes qui s’étaient ignorés se mettent à bavarder. L’auteur parle d’écriture quand l’autre, de sa poche, sort un morceau de cristal. « C’est le cristal du Temps » explique-t-il au romancier en lui offrant l’objet. L’objet n’est qu’un banal morceau de verre que l’auteur engouffre dans sa poche sans se douter qu’il vient de pénétrer dans la galaxie de ses souvenirs. Il lui suffit de regarder le verre et ils sont là. Souvenirs anciens, oubliés, récents, tous affluent au seul regard posé sur le cristal.

De là, le livre est une chaîne de scènes vécues, toutes puisées dans le sillon des jours qui passent. On y va du souvenir d’un jeune Afghan prêt à se tuer sous les roues d’un bus parisien en passant par le souvenir des enfants de la jungle de Calais qui agitent la main devant les trains qui passent ou du souvenir du lapin égorgé lors des vacances d’enfance. Le point commun est la vie des oubliés. Hommes, femmes, enfants ou lapin que l’on égorge, il y a autour de nous des êtres qui ne cessent de nous rappeler l’éphémérité de notre condition.

Il n’y a que se souvenir pour le comprendre. Il n’y a, comme Pierre Péju le fait, qu’à oser ouvrir les yeux sur ces oubliés pour reconnaître qu’ils dessinent un à un l’humanité et que, derrière eux, c’est nous que nous retrouvons. Nous qui oublions de nous souvenir pour oublier de nous reconnaître ?

Proche de la fin d’une vie, il semble pourtant nécessaire de faire le tour de soi et le cristal du temps, pour nous y aider, ne s’en tient plus aux seuls souvenirs. Il traque les rêves, il ouvre sur le futur. L’heure est alors venue de s’arrêter, de briser le morceau de verre, ce que fait finalement l’auteur-narrateur.

Reconnaissance est-il un roman ? Est-il un récit ? Il est les deux à la fois et c’est encore une des singularités de l’ouvrage : nous faire découvrir comment, du récit, un écrivain peut faire roman. « Un roman qui n’en finirait pas », précise Pierre Péju. Un roman du Temps.

Isabelle Rossignol 
(12/01/17)    



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Gallimard

(Janvier 2017)
368 pages - 21 €





Pierre Péju,
né à Lyon en 1946, philosophe, romancier et essayiste, a publié de nombreux ouvrages et obtenu, entre autres, le Prix du Livre Inter pour
La petite Chartreuse  et
le Prix du roman Fnac
pour Le rire de l’ogre.



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