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De l’enfant à l’écrivain Aurait-on dans ce récit un aperçu magnifique de l’art de cette grande écrivaine ? Serait-il ici concentré ? Peut-être… car Joyce Carol Oates va nous montrer, d’une manière simple et sensible comment l’écriture lui est venue ! Une grande partie du livre est consacrée à son enfance. Ses jeunes années qui se déroulent dans une ferme de l’Etat de New-York. La famille n’est pas riche, mais les parents sont aimants, attentionnés. Le chapitre intitulé « Heureux le poulet » nous donne, non sans humour, un début d’éclairage sur la personnalité de cette petite fille de cinq ans, sensible, et curieuse de comprendre ce qui l’entoure. C’est pourquoi l’enfance, est manifestement importante pour elle, ce creuset où l’amour de ses parents restera sa première et plus solide fondation. À propos d’un petit coq qui lui avait piqué les genoux, elle nous confie : « Il est difficile de se défaire de l’illusion superstitieuse que l’on garde sur la peau des marques indélébiles de son enfance connues de soi seul. » Dès ses premières années à l’«école unique », où la confrontation, souvent complexe, avec des élèves d’âges différents, nous la verrons résister et observer son environnement, même si parfois l’expérience a pu être douloureuse pour elle. D’une simplicité apparente, avec cette sorte de détachement intime, ou de juste recul, sans oublier les retours sur images, ce récit capte, intéresse, et nous interpelle. Parce Joyce Carol Oates mêle ou démêle avec habileté et subtilité ce qui va jouer dans l’histoire de sa vie. Que cela provienne de cette Amérique rurale de son enfance, ou plus tard de l’évolution de la société dans les années soixante par exemple, que ce soit, à travers les relations qui se nouent à l’adolescence, ou pendant ses années universitaires, nous la verrons grandir. Et nous verrons, ou devinerons, la place à venir de l’écriture. Car si les moments sont racontés, les impressions retenues dans sa mémoire, si des sentiments sont analysés, c’est avec la sagacité de l’écrivaine, et les choix qu’elle fait le sont avec une intention particulière – elle nous le précisera d’ailleurs dans la postface –, et toujours sous ce regard vif qui ne faiblit pas. Qu’elle nous parle de la littérature, ou des sommes de livres à lire pour ses études – « Ces lectures intensives étaient exaltantes, comme un plongeon dans les profondeurs insondables de l’océan ; c’était exaltant, et terrifiant, car à de telles profondeurs on respirait difficilement, et plus on cherchait à concentrer ses pensées, plus elles risquaient de s’égailler comme des oiseaux affolés. » – ou de sentiments, ses réflexions sont toujours profondes, et nourries de ses expériences. Et ponctuent toujours judicieusement et habilement le déroulement de son histoire. Elle évoque ces étudiants qui viennent lire, comme elle, dans un bar, au petit matin : « Nous étions solitaires et silencieux mais néanmoins des sortes de compagnons, comme les personnages assis au comptoir du Nighthawks d’Edward Hopper, l’image romantique la plus poignante et la plus continûment reproduite de la solitude américaine. » Et lorsqu’elle évoque, à plusieurs reprises, ce peintre, nous réalisons alors que c’était son écriture, elle-même qui nous avait amenée au bord de cette évocation, avant même de la lire ! Outre cette résonnance en nous qui s’insinue lentement au fil de la lecture, ce qui est passionnant ici se sont les pensées qu’elle nous livre à propos de l’écriture, de la mémoire, de la fiction, à propos de ce qui a été ou sera « perdu ». Dans la postface, Joyce Carol Oates, prend la peine de nous donner des indications sur : « Revenir sur plus de six décennies est un exploit vertigineux, mais serait impossible si l’auteur tentait d’être absolument fidèle à l’immédiateté des expériences passées » et donc : « Le premier principe pour écrire des souvenirs est la "synecdoque". Une partie symbolique est choisie pour représenter le tout. Le lecteur ne doit pas s’attendre à la révélation entière d’une vie, mais doit comprendre que, comme les œuvres de fiction et de poésie, ce genre de récit doit être extrêmement sélectif. » Anne-Marie Boisson (09/11/17) |
Sommaire Lectures Philippe Rey (Octobre 2017) 432 pages - 24 € Traduit de l’anglais (USA) par Claude Seban
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