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Andrés NEUMAN


Bariloche


Ce roman d’Andrés Neuman  n’est pas bavard. Il procède plutôt par énigmes et allusions. Au lecteur de faire le travail, de démêler le fil de ces destins étranges.

En apparence, Demetrio est un éboueur sans histoire de Buenos Aires. Il fait équipe avec Negro qui lui reproche ses fantaisies, car Negro est toujours pressé, enchaînant un travail de jour après son travail de nuit. Les fantaisies de Demetrio  consistent par exemple à fouiller les sacs poubelle ou à faire monter dans le camion les mendiants qu’il croise pendant sa tournée et à leur offrir un petit déjeuner chaud.

Après sa tournée, Demetrio rejoint son appartement, il dort, il mange, il regarde les passants et parfois il travaille à son puzzle. Tous les puzzles qu’il achète et assemble sont des paysages de forêt, de montagne, de lac, de cabane en bois. Et chaque pièce qui trouve sa place évoque un souvenir de l’enfance de Demetrio, un souvenir nostalgique et parfois violent où les images d’une passion amoureuse reviennent toujours. On apprend peu à peu que le lac de son enfance est le Nahuel Huapi, gigantesque lac de Patagonie, au milieu des forêts d’arrayanes. L’écorce de ces arbres prend une couleur cannelle, parsemée de taches blanches. Les feuilles sont petites et d’un vert brillant, ce qui donne naissance à des jeux de lumières magnifiques. Mais cela n’est pas dans le roman, c’est le lecteur curieux de botanique qui peut le chercher.

Andrés Neuman glisse de la pièce du puzzle au vécu de l’enfant dans ce même paysage, sans aucune transition. « Les fleurs n’étaient pas terminées mais Demetrio les observa et les flaira, caressa leurs pétales. Il fut tenté de courir après les chats, y renonça devant leur célérité. Il respirait un air parfumé, presque immatériel. Il ferma les yeux et entendit une voix l’appeler : il hésita entre y répondre ou s’enfuir. Soudain il partit en courant et, sur le chemin du village, se roula dans la terre, se barbouillant les genoux et les mains, sentant la proximité sereine du lac tandis que la voix lointaine et lasse rabâchait  ce prénom qu’il détestait. »

Toute l’histoire de Demetrio nous sera égrenée au fil des puzzles. Chaque séquence puzzle s’intercalant avec une séquence poubelle, ou une séquence vie d’aujourd’hui à Buenos Aires. Les deux histoires s’interpénètrent et s’éclairent mutuellement. Mais les parts d’ombre demeurent et vont entraîner le personnage vers sa perte, annoncée par une pensée étrange : « Comment serait-ce de vivre au milieu des déchets, d’en être soi-même un ? »

Il faut un certain culot pour choisir de décrire, nuit après nuit, le travail d’un éboueur et la journée tout aussi morne et sans surprise qui fait suite à ces nuits. Les seules distractions de Demetrio étant l’assemblage quasi obsessionnel de ses puzzles et sa vie amoureuse. Mais si sa vie amoureuse n’a pas d’avenir, ses puzzles ravivent un passé grouillant de vie et de souffrance, avec un luxe de sensations de froid, de peur, de tristesse, de rage et d’amour. La langue poétique de Neuman ajoute à la magie hypnotique des puzzles : « Les filaments lumineux s’entrelacent, complets sur le cristal du lac. Les rochers des montagnes aux plis enneigés endorment l’horizon. Le ciel présente plus que jamais l’aspect de la faïence […] S’échappant de la cheminée, immobile, une légère fumée salit l’exactitude du jour. »

Nadine Dutier 
(19/10/17)    



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Lectures








Buchet-Chastel

(Octobre 2017)
180 pages - 18 €

Traduit de l'espagnol
(Argentine) par
Alexandra Carrasco





Andrés Neuman,
né en 1977 à Buenos Aires, écrivain, chroniqueur et essayiste, a publié de nombreux romans, recueils de nouvelles et de poésie.


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