Une vraie bonne nouvelle que la publication par Buchet-Chastel d'un volume de 320 pages qui regroupe la  totalité des nouvelles de Marie-Hélène Lafon notamment celles de son recueil "Liturgie" publié en 2002 et ''Organes'' en 2006. On y trouvera aussi ''La Maison Santoire'' et "Bon en émotion", nouvelles publiées indépendamment au tirage depuis longtemps épuisé et en bonus un texte inédit intitulé ''Histoires : Aux sources et à l'établi'' où l'écrivain nous fournit avec simplicité des clefs  pour pénétrer plus avant le processus d'élaboration littéraire de ses nouvelles, ses romans et les passerelles qui peuvent apparaître ou se tisser entre eux.
« Toujours je fais ça, je vais et je viens, entre roman et nouvelle, nouvelle et roman, dans les deux sens, à perdre haleine ; toujours je cherche, le souffle, la distance, la tension, l'élan, l'allant, le juste poids du désir. »

À  lui seul ce voyage intime au cœur de l'écriture de l'écrivain sans autres atours que ce goût du mot juste et charnu est un véritable trésor qui suffirait à justifier cette nouvelle édition.
« Toujours du texte fermente et travaille à l'intérieur de moi, sous ma peau, dans ma viande, derrière mes yeux, du texte des textes des mots des phrases de la matière du matériau, du vent des gravats des soirs d'été du silence des bêtes des gens des livres d'autres livres les livres des autres, des vivants et des morts, du vent encore du vent, le monde et sa plaie ouverte, et les hivers et le feu de joie, et l'attente, le guet, la patience d'être. »

Mais ce serait sous-estimer le plaisir renouvelé que l'on prend à lire (découvrir pour les chanceux qui étaient jusqu'alors passés à côté) ces formidables portraits d'hommes et de femmes durs à la peine, durs à eux-mêmes et aux autres, qui nous restituent ce Cantal âpre et secret où l'écrivain a grandi et qu'elle sait aujourd'hui en voie d'extinction. Ce ne sont pas des bribes de vies volées au temps mais des êtres humbles et solitaires dont l'écrivain dénoue les nœuds et dévoile l'intimité et, avec un réalisme nu, sous l'intensité de son regard, derrière la précision des mots, leur simple humanité finit par leur donner au-delà de leur vie minuscule et leur inscription régionale une dimension universelle.
Alors ces photographies littéraires d'une ruralité qui s'efface de la carte un peu partout, ces histoires de solitude, ces souvenirs d'enfance ou du pensionnat avec sa ''quincaillerie religieuse''  qui imprime sa trace au corps et à l’âme, ces nouvelles que l'empathie dispute à la cruauté, la sobriété à la poésie, la sensualité à la brutalité,  résonnent en nous, au-delà de l'ancrage et la singularité de chacun, avec force.  

Un recueil aussi noir que lumineux, inépuisable, à lire, à offrir et à garder précieusement dans sa bibliothèque pour y piocher au fil des envies.

Marie-Hélène Lafon a reçu pour ce recueil le Prix Goncourt de la nouvelle 2016.

Dominique Baillon-Lalande 
(04/07/17)