Retour à l'accueil du site





Stéphane JOUGLA


Gabrielle ou le jardin retrouvé


Après la disparition de l’être aimé, quelles traces peut-on retrouver et conserver autour de soi, dans la maison, dans le jardin ? Jusqu’où cette quête des souvenirs, cette préservation des parfums, des images, peut-elle conduire ?

Le roman s’ouvre sur un jeune couple qui visite une maison en vue de l’acheter. « Journaux, sacs plastique, bouteilles, vêtements usagés, pots de yaourt écrasés jonchaient le sol dès l’entrée. En fait nous visitions une décharge. » Seule la chambre est propre, irréprochable.
Le jardin, exubérant, séduit tout de suite Amélie. Son mari, lui, est beaucoup plus réservé. Il se demande quel hurluberlu a pu habiter là ces dernières années pour laisser maison et jardin dans un tel état. C’est justement le sujet de ce roman.

C’est un autre couple, Gabrielle et Martin, qui habitait cette maison. Gabrielle était professeur de français. Dès le chapitre deux, Gabrielle meurt dans un accident, vélo contre poids lourd, pas de miracle. Martin était follement amoureux de Gabrielle. Malgré les funérailles, l’incinération, la dispersion des cendres, il ne peut admettre sa disparition.
« Martin lava la robe qu'elle portait le jour de son accident et la suspendit dans son placard. Il lava et plia aussi ses sous-vêtements dans son tiroir de commode : il tenait à ne rien changer à la répartition des rangements. Il conserva jusqu'au désordre que sa bien-aimée avait laissé dans la salle de bains. Crèmes, eaux de toilette, rouges à lèvres encombraient désormais inutilement la tablette, mais restaient pour Martin des signes indubitables de la présence de Gabrielle. L'appartement était ainsi balisé d'empreintes et de signaux minuscules, déclencheurs de souvenirs au moindre effleurement, qu'il fût visuel, tactile, olfactif, voire auditif. Un geste aussi anodin que refermer un livre laissé ouvert par Gabrielle risquait d'engloutir à jamais une fragile image d'elle. Mieux valait tout laisser en l'état. »

Gabrielle avait deux passions, la lecture et le jardin. C’est du moins ce qu’il croyait.
Pour les livres, c’était vrai, et Martin, qui n’avait jamais lu un livre auparavant, va se plonger dans les ouvrages laissés çà et là dans l’appartement par Gabrielle.
« Appelez-moi Ismaël. Cette phrase, soulignée par Gabrielle – la première de Moby Dick –, l'avait embarqué sur le Pequod, le navire du capitaine Achab lancé à la poursuite de la baleine blanche. Martin avait lu toutes celles qui suivaient, captivé par ce livre au texte aride qu'il acheva dans une atmosphère de tempête. Quand il le referma, la nuit était tombée. »
Suivront La bête dans la jungle d’Henry James, Le tour d’écrou, les Mémoires d’outre-tombe
Il commençait par chercher dans les ouvrages les phrases soulignées par Gabrielle et se laissait emporter par la lecture. « Jeu sans fin. Chaque titre en appelait un autre et les phrases semblaient se répondre. »

Pour le jardin, c’est différent. Gabrielle en parlait avec passion. « Elle aimait raconter comment elle avait métamorphosé cette terre ingrate, rongée par les racines du tilleul, pour la transformer en jardin. Son premier travail avait été d'ar­racher les aucubas qui s'y multipliaient ; elle avait ensuite retourné le sol, l'avait enrichi d'engrais, avant de planter des clématites, des jasmins, des rosiers-lianes contre les murs, et le gros hortensia près de la terrasse. Plus loin, des fougères, des hostas, des anémones, et contre la clô­ture : des seringats, azalées, buis, rhododendrons, capables de pousser à l'ombre du grand arbre. Jusqu'à cette mince pelouse, dont la verdeur tenait du miracle... »

« Mais même du vivant de Gabrielle, Martin s'y était toujours senti un peu étranger. À chaque printemps, Gabrielle lui présentait pourtant ses nouvelles plantes : Jacques Cartier, Madame Lecoultre, Ghislaine de Féligonde, Pierre de Ronsard, Nelly Moser... En plus de leurs noms botaniques, presque toutes portaient des noms de personnes. Le jardin les assimilait sans effort apparent. Martin, lui, s'y perdait. »
Mais, ce qui étonne Martin maintenant, c’est que le jardin ne semble pas souffrir de l’absence  de Gabrielle. Les feuilles tombées des arbres disparaissent miraculeusement et les rosiers sont taillés sans qu’il ait besoin d’utiliser le sécateur. C’est ce mystère qui va peu à peu s’éclaircir et plonger Martin dans un grand désarroi.

Voilà un roman aussi passionnant qu’émouvant où Martin découvre une partie de la vie  de Gabrielle qu’il ne connaissait pas. Savons-nous vraiment qui sont les personnes avec qui nous vivons ? Y a-t-il des zones que nous ne partageons pas ? Stéphane Jougla, avec tendresse et délicatesse, nous permet d’accompagner Martin au plus près, de partager son chagrin et ses surprises, de comprendre comment il sombre peu à peu dans une folie à la mesure de l’amour qu’il éprouvait pour Gabrielle. Encore une belle preuve du pouvoir de la littérature dans la compréhension de l’âme humaine…

Serge Cabrol 
(05/10/17)    



Retour
Sommaire
Lectures








Denoël

(Septembre 2017)
224 pages - 19 €













Stéphane Jougla,
né à Toulouse en 1964, est enseignant en région parisienne. Gabrielle ou le jardin retrouvé est son quatrième roman.