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René FREUND

La femme qui traversait les Alpes
avec une valise à roulettes et une urne


Quand Nora, toute jeune femme, prend connaissance à la mort de son père de ses dernières volontés elle tombe des nues. Certes l'héritage est plus que confortable mais le notaire de famille lui apprend qu'une «clause spéciale» l'oblige à effectuer le transfert des cendres du défunt de Paris à Vienne pour les déposer dans un lieu précis du territoire autrichien qu’il lui indiquera par téléphone ultérieurement. Certes, la mère décédée aux quatre ans de l'enfant était bien autrichienne mais le couple père-fille émigré en France dans les mois qui suivirent le drame n'avait gardé aucun lien sur place et la fille de ce couple austro-allemand n'y comprend rien.
Qui plus est Klaus (le père) a eu l'idée saugrenue d’exiger qu’ «une partie du voyage se fasse exclusivement à pied sous surveillance notariale». Le compagnonnage forcé avec le jeune Bernhard, ce «Magister juris» sérieux et propre sur lui venu exprès de Vienne pour ce faire, l'agace autant que la perspective de devoir partir en randonnée alors que son père connaissait parfaitement son aversion pour l'effort physique et la nature. 
Quel sale tour lui joue là son père ? Pour quelle raison ? Avait-il perdu la raison ces dernières semaines où ils ne s'étaient pas vus ?

C'est cet étrange voyage forcé de monastères en refuges à travers forêts et montagne, de ce couple mal assorti avec un Bernhard équipé en randonneur et une citadine à la valise rouge à roulettes que le lecteur va partager durant 250 pages, découvrant les deux protagonistes à fur et à mesure qu'ils se révèlent l'un à l'autre sous la contrainte des écueils et péripéties.
C'est aussi le temps qu'il faudra aux deux voyageurs comme aux lecteurs pour comprendre ce que cache l'étonnant caprice du vieil homme.

Ce roman au style vif et divertissant (comme le titre le laisse soupçonner) est double. S’il peut être pris au premier degré comme un habile et plaisant livre de vacances qui se lit le sourire aux lèvres, on peut aussi par l’intrusion de la présence d'outre-tombe du père, par la quête personnelle et sociale de ces deux personnages qui n’appartiennent pas à la même classe et que tout sépare, par la description détaillée du milieu naturel de la Styrie et des Alpes orientales autrichiennes qui avec leurs habitants servent de décor, y trouver une certaine épaisseur psychologique et sociologique et y deviner un questionnement existentiel en arrière-plan.

En effet, à côté de l'humour de Nora et Bernhard, de la drôlerie de leurs réparties et de leurs chamailleries, les histoires familiales qui s'y  découvrent sont parfois aussi sombres que le cœur le plus profond des forets traversées tandis que le suspense sur les raisons et la réussite de ce pèlerinage mystérieux crée la tension.
Quant à l'image des Autrichiens véhiculée ici, entre alcool et violence, elle ferait assez bien écho à celle transmise par le célèbre dramaturge, poète et romancier autrichien Thomas Bernhard qui d’œuvre en œuvre n'a cessé de  dénoncer la médiocrité et l’hypocrisie de ce pays qu'il disait haïr.

Portant un regard juste et lucide sur notre société dominée par les stratégies de fuite et la solitude, combinant adroitement roman familial, récit d'initiation, chronique sociale et comédie légère truffée de bon mots,  le roman trouve cohérence et sens sans sacrifier sa saveur première.

Ce livre sympathique présente tous les atouts pour offrir quelques heures de lectures intelligemment divertissantes à recommander à un public large de jeunes ou moins jeunes adultes.

Dominique Baillon-Lalande 
(14/11/17)    



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Kero

(Octobre 2017)
265 pages - 19,90 €


Traduit de l’allemand
(Autriche) par
Élisabeth Landes








René Freund,
né à Vienne en 1967, après des études de philosophie et d'ethnographie, a été conseiller dramatique avant de se consacrer à l'écriture. La femme qui traversait les Alpes avec une valise à roulettes et une urne est son premier roman traduit en français.