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Caryl FÉREY

Chili
La diagonale du Condor


Cet ouvrage est bien sûr, et c’est ce qui saute aux yeux quand on le feuillette, un superbe album sur le Chili, avec des photos à presque toutes les pages et souvent même en double page. Mais au-delà de nous faire partager un voyage, il y a là un autre projet. On est habitué aux « making of » et autres bonus pour les films, beaucoup moins  pour les romans. C’est pourtant en partie ce qui nous est offert ici : Caryl Férey nous fait découvrir le pays, les paysages et les gens qui ont contribué à l’écriture de son roman policier paru en 2016, Condor.
Après la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud ou l’Argentine, l’auteur voulait situer son nouveau roman au Chili. Pour ce faire, deux voyages et quatre ans de travail ont été nécessaires.

Ce livre est le récit du voyage de 2014 où l’auteur, avec le photographe Romain Tanguy, surnommé Chorizo-Bouillant, et trois amis, deux musiciens et une comédienne, a sillonné le Chili, du désert d’Atacama au territoire des Mapuches en passant par Valparaiso et Santiago.

« L'Atacama donnait du rêve, avec ses plateaux qui en faisaient l'un des déserts les plus hauts du monde, ses cailloux préhistoriques et son aridité extrême. J'avais des pistes – des mois de documentation, une histoire plus ou moins en place, des personnages en devenir qui, c'était de plus en plus sûr, finiraient leur course ici, au cœur de l'Atacama. »
Ils retrouvent sur ces hauts plateaux un ami mapuche rencontré lors d’un précédent voyage, Longue-Figure, photographe lui aussi.
Chacun des membres de l’expédition y cherche ses propres réponses. « Ippon-Sanglant s'imaginait des riffs bien sentis, Clope-dur enregistrait jusqu'au bruissement du vent entre les cailloux emboîtés, Loutre-Bouclée ramassait des éclats de coquillages préhistoriques pour notre carnet de route, Longue-Figure et Chorizo-Bouillant faisaient claquer leurs appareils. »
Caryl Férey, lui, est venu pour écrire. Il observe, il note, il construit le roman à venir, Condor, dont le titre ne fait pas seulement référence à l'oiseau emblème du pays, « mais au plan secret imaginé par Pinochet et ses sbires pour se débarrasser des gêneurs après le coup d'État du II septembre 1973. »
Au-delà de l’intrigue et des personnages, Caryl Férey s’intéresse à la vie du pays. Son histoire ancienne, les peuples Atacamènes et Mapuches, et plus récente, l’action d’Allende et la dictature de Pinochet. Mais aussi le présent, les effets du réchauffement climatique, la pollution des industries minières et les risques quotidiens que prennent les camionneurs chargés du transport des minerais, la déforestation de zones confiées par l’Etat à des compagnies privée, tout ce qui défigure un territoire que les Indiens pendant des siècles ont respecté et protégé.

Des extraits du roman s’intercalent dans le texte et montrent comment la réalité observée pendant le voyage est venue étayer la fiction.
Dans ce désert d’Atacama, ce qui fascine l’auteur ce sont les salares, ces mers de sel, véritables décors de western arides et sauvages, où le seul signe de vie (et de mort) est le carancho.
« Il manquait encore un détail au décor, ce petit rien qui pétrifie le réel dans la fiction. Je le trouvai bientôt, sous la forme d'un rapace. Une véritable saloperie que je reconnus aussitôt. Un carancho. Une terreur dans son genre. De la taille d'un corbeau, les caranchos frappent le plus souvent par-derrière des animaux faibles ou malades, ou quand la proie s'y attend le moins: ils s'attaquent ainsi aux vaches lorsqu'elles mettent bas, n'hésitant pas à leur arracher les parties génitales, à leurs yeux pour les crever et les déboussoler, aux veaux qui viennent à peine de naître. Les caranchos harcèlent leur proie jusqu'à les rendre folles de peur – il suffit de voir leurs yeux exorbités pour comprendre ce que cet oiseau leur inspire.
Deux d'entre eux se chargeaient de ramasser mes cadavres. »

Après le désert, c’est la descente vers le Pacifique, un océan violent, « une brute épaisse », « sauvage, télescopé de courants et de vagues inégales ». C’est là que dans le roman, Esteban et Gabriela feront l’amour et comprendront que « l’océan qu’ils contemplent est dur et beau, à leur image. […] Il fallait ça pour lier mes héros, un Chilien plein aux as et une vidéaste mapuche fauchée dix fois plus forte que lui. Quoi saisir de leur nature sinon dans la Nature qui les constituait ? L'océan renfermait Kaï Kaï, dieu de la Mer, l'ennemi mortel des dieux mapuches, qui lui opposaient la puissance des volcans. Mes deux amants seraient liés au-delà de l'amour... »

Ensuite c’est Valparaiso – et la maison de Pablo Neruda dont un rapport récent a confirmé qu’il n’est pas mort du cancer qui était en voie de rémission mais d’un empoisonnement –  et Santiago où se déroule une manifestation qui se retrouvera dans le roman.
La Villa Grimaldi, le principal centre de torture de Santiago sous la dictature, est devenue un lieu de mémoire et, là encore, un extrait du roman fait éprouver au personnage de la fiction la douleur, la tristesse et la colère ressenties par l’auteur dans la réalité.

Dans la banlieue sud de Santiago, c’est la découverte du quartier de La Victoria qui « avait vu le jour durant l'hiver 1957, quand des milliers de déshérités avaient investi un terrain vague pour y bâtir des cabanes. La police avait tenté de les déloger mais ces gens n'avaient rien, ni d'autres endroits où aller. On pouvait les tuer, ils ne bougeraient pas. Ils n'avaient pas bougé, s'étaient raccordés aux réseaux électriques, survivant coûte que coûte. » Plusieurs personnages du roman habitent ce quartier et de nombreuses scènes s’y déroulent.

La fin du voyage nous emmène chez les Mapuches et nous présente à la fois leur territoire et leur histoire mais aussi, au fil de rencontres rendues possibles par la présence de Longue-Figure, la vie actuelle et les croyances de la communauté.

Photos et textes s’entremêlent et se complètent pour constituer un ouvrage passionnant, tant pour la découverte du pays et de ses habitants que pour suivre au plus près la gestation du roman et la façon dont la réalité a nourri la fiction. Au-delà d’un très beau récit de voyage, c’est une expérience littéraire fascinante qui nous est proposée ici. Une magnifique idée de cadeau en accompagnant évidemment cet ouvrage du roman qui lui est étroitement lié.

Serge Cabrol 
(24/10/17)    



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Lectures








Gallimard

(Octobre 2016)
272 pages - 35 €


Photographies de
Romain TANGUY













Caryl Férey,

né à Caen en 1967, a beaucoup voyagé et publié une vingtaine de livres.



Bio-bibliographie
sur le site de l'auteur :
www.carylferey.com











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