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Ali ERFAN

Sans ombre



« Ubu imam », « Les aventures tragi-comiques des soldats de Dieu », voilà comment pourrait être sous-titré ce roman dont on ne sait pas où se situe la limite entre l’absurde et le réel, où les jeunes recrues qui partent à la guerre ne sont plus dirigées par des généraux mais par des chefs religieux et ne sont pas préparées à combattre mais à mourir en martyrs. Ceux qui en reviennent sains et saufs sont « des déchets du combat ».
Nous sommes en Iran, dans les années 80, après la chute du Shah et l’arrivée au pouvoir de l’imam Khomeiny, pendant la guerre Iran-Irak, chiites contre sunnites, qui a duré huit ans et rappelle parfois la Première Guerre mondiale par le creusement des tranchées et l’utilisation d’armes chimiques comme à Verdun.

Reza, le jeune narrateur, se rend au centre de recrutement mais ce n’est pas vraiment un choix personnel.
« J'étais parfaitement conscient ce jour-là que si je partais à la guerre, c'était parce que Tonton, notre nouveau censeur, en avait décidé ainsi. Comme une sorte de punition. À cause de moi, tout le monde avait en effet été informé du fait qu'avant la Révolution, il était le concierge de notre Institut de santé. »
Quand le jour de la rentrée, il l’a vu ranger des boîtes et nettoyer des bouteilles de lait, il n’a pu s’empêcher de lui lancer : « Hé, Tonton ! Tu n'es plus le concierge, mais notre professeur. »
« Depuis lors, aucun élève ne le craignait. De surcroît, pour lui rappeler son ancien surnom, on l'appelait tous Tonton ; non pas pour l'humilier, mais pour minimiser son autorité. »
Mais la Révolution a donné à Tonton un pouvoir que Reza sous-estimait…

Au centre de recrutement, il retrouve son meilleur ami, Nassim, et rencontre un jeune garçon qui parvient à se faire engager malgré ses treize ans alors qu’il faut théoriquement en avoir quinze. Reza le surnomme Petit et un groupe se constitue avec deux autres recrues, Ehsan et Camarade.
Au fil des jours, Reza, en narrateur curieux, va rencontrer d’autres personnages engagés dans cette imprudente offensive et chercher à mieux les connaître, comme ce professeur de philosophie qui apporte à leur épopée un regard aussi étonné qu’incrédule, tenant à vérifier au plus près des combats la validité de tout ce qu’il a appris et enseigné, ou cet ancien colonel de l’armée impériale qui veut continuer à servir le pays malgré le changement de régime mais se heurte à l’incompétence et l’arrogance des nouveaux mollahs donneurs d’ordres…

Reza va pouvoir aussi mesurer la naïveté des jeunes recrues galvanisées par les apparitions miraculeuses de « l’Imam caché » en haut des collines, sur son cheval gigantesque, couleur de neige. « Je distinguais un léger brouillard humide dans l'air, et sur la terre une centaine de têtes sorties des tranchées. Au cri d'Allah Akbar, le cavalier a pressé son cheval blanc, puis il l'a lancé au galop dans le brouillard matinal ; très vite il disparut. Je remarquai que sur son passage, une couche de fumée montait du sol tandis que les cris des soldats envahissaient la plaine. » Ce n’est que beaucoup plus tard et à l’abri des regards que Reza et le prof de philo connaîtront le secret de cette affligeante supercherie.

« Quelle connerie la guerre » écrivait Jacques Prévert. Ali Erfan en apporte une nouvelle preuve avec ce roman où nous suivons les aventures tragicomiques de ces jeunes soldats depuis les périodes de formation et le creusement des tranchées jusqu’à une offensive d’une monstrueuse stupidité au milieu des marais. Un roman courageux et salutaire auquel la sagesse et les observations désabusées du narrateur donnent une belle profondeur. « J’acceptai enfin l’idée que c’est au front qu’on devient un homme… mais pas le même homme. Car celui qui part en guerre ne reviendra jamais. »

Serge Cabrol 
(01/12/17)    



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L'aube

(Septembre 2017)
216 pages - 20 €











Ali Erfan,
né en Iran en 1946,
a écrit son premier roman à quinze ans, un texte très politique qui l'a mené en prison. Cinéaste et écrivain, il est réfugié en France depuis 1981. Sans ombre est son septième livre chez le même éditeur.