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Medoruma SHUN
Sur ces îles paradisiaques au climat subtropical, à la végétation
colorée et la faune abondante, flotte l'écho douloureux des combats
qui résonne encore dans le silence des forêts sacrées où
vibrent les invocations et les danses des prêtresses kaminchu,
paysannes frappées du don de voyance. Une île superstitieuse, à
la fois luxuriante et pauvre, qui garde en elle les cicatrices de l'Histoire.
Singulièrement, ce territoire méridional nippon ravagé
par la guerre en quarante-cinq, est resté sous administration américaine
jusqu'en 1972, date de sa restitution au Japon. Chaque nouvelle s'appuie sur une narration à hauteur d'enfant, un gamin
à l'affût du monde des adultes qu'il découvre, sensible
au secret qu'ils taisent, à la violence et l'injustice du monde, aussi.
A partir de ce contexte général, les thèmes des nouvelles
sont variés. Dans un autre village, le fantôme d'une petite fille va chaque fin d'après-midi s'asseoir sous les saules au bord de la rivière. "Tu sais, quand je suis assise comme ça sur une des branches du ficus et que je regarde couler la rivière, plein de souvenirs me reviennent. [...] Autrefois, il y avait plus d'eau et les berges n'étaient pas bétonnées, les plantes foisonnaient sur les rives. [...] Moi, je suis née environ dix ans après la fin de la guerre. Tu sais qu'il y a eu la guerre à Okinawa, autrefois ? [...] Plein de gens du village sont morts, mon grand-père aussi, c'était pendant la guerre, mais on ne sait pas où. D'après ce qu'on m'a raconté, des soldats japonais l'ont emmené et il n'est jamais revenu. Ma grand-mère, parler de la guerre ça lui donnait la migraine, au point où elle ne pouvait plus travailler." C'est cette aïeule, prêtresse par ailleurs, qui s'est vu confier par les parents le fardeau de l'éducation de cette fillette lente et peu dégourdie qui s'avérera aussi médium. A la mort de la vieille femme, la jeune fille travaillera dans un bar pour une patronne bienveillante, y découvrira l'amour jusqu'à ce que la violence des hommes l'expédient auprès de ces esprits qu'elle est seule à voir et à entendre. (Avec les ombres) Ailleurs, près de la rivière, un jeune garçon se lie d'amitié avec un vieux pêcheur qui a passé une partie de sa vie au Brésil avant de revenir sur la terre de ses ancêtres. "Ce n'est qu'une fois arrivé dans son village natal qu'il a découvert que le quartier où il était né et avait grandi était maintenant de l'autre côté du grillage délimitant la base militaire américaine. Sur le terrain bétonné où s'alignaient les engins militaires de couleur kaki ou camouflées, il lui était impossible de restituer la forêt, les rizières, l'alignement de maisons qui étaient dans sa mémoire. Il a marché le long du grillage à perte de vue quand soudain, apercevant un bouquet d'arbres coupé au milieu par la clôture, il a compris qu'il s'agissait de la forêt où il était allé le dernier jour avec son père. Sans se préoccuper du soldat en faction, il s'est précipité vers les arbres et a rapidement retrouvé l'ouverture de la grotte. [...] Là, il vit des cadavres sans sépulture et des objets abandonnés. Ce n'est que plus tard qu'on lui a expliqué que les traces noires sur les parois rocheuses étaient dues aux lance-flammes. [...] Peut-être ses parents s'étaient-ils cachés dans la grotte ?" Si l'homme qui vit à l'écart de tous, passe au village pour un vieux fou, cette rencontre initiatique et humainement riche marquera l'enfant à vie. (L'awamori du père Brésil). On trouvera aussi des images de Cassius Clay diffusées à la télévision et celles des soldats américains de la base qui s'affrontent sur un ring improvisé à l'heure des premiers émois de deux adolescents attirés l'un par l'autre (Rouges palmiers) ; des combats de coqs venant incarner une relation père-fils marquée par la tradition et le pouvoir de la mafia locale (Coq de combat) ; un jeune adulte qui, encombré par le souvenirs de la violence de son père et du suicide de sa mère quand il était encore enfant, peine à vivre sa propre histoire. (La mer intérieure) En décor de chaque récit, omniprésents, la beauté
des paysages, des plages, des flots, des rivières riches en poissons,
et dans cet écrin, la guerre et l'occupation qui a suivi, messagères
de rupture, de pollution et de violence ; enfin, face à cet effondrement
d'un monde, les rapports de ceux qui y demeurent sous l'ombre des fantômes
qui les accompagnent douloureusement. Dominique Baillon-Lalande (27/03/14) |
Sommaire Lectures Zulma (Janvier 2014) 288 pages - 21 € Nouvelles traduites du japonais par Myriam Dartois-Ako, Véronique Perrin et Corinne Quentin
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