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Annie SAUMONT


Un si beau parterre de pétunias



Ce nouveau recueil réunit dix-neuf nouvelles, onze inédites et huit autres parues entre 1969 et 2008, et on est frappé par la cohérence de l'ensemble. Dans cet univers personnel et fort règnent en maîtres le manque, le désamour, la solitude. Les morts, volontaires ou non, s'y accumulent de façon presque anecdotique et feutrée. Les enfants et les retraités y sont rarement aussi innocents qu'ils en ont l'air.

Les nouvelles inédites :

Un si beau parterre de pétunias
Une charmante vieille dame dont le village admire les parterres de pétunias à nul autre comparables, a décidé de louer une partie de sa maison. Pour avoir de la compagnie, car depuis la mort de son teckel enseveli sous les fleurs somptueuses elle se sent un peu seule, par confort financier et par désir de partager son admiration au quotidien pour ses extraordinaires plates-bandes. Un jeune couple sans enfant finit par avoir ses faveurs et s'installer à demeure. Une période de bonheur, de partage, avec la jeune femme, pendant que son mari est parti au travail. Mais la trahison du conjoint et une chute maladroite de la victime éplorée au milieu des fleurs, vont changer la donne. "A la tombée de la nuit Théodora commence à creuser le long des pétunias une large fente au bord du massif, prenant soin que reposent en paix les restes du teckel chéri…"

Le dernier client
Si le garçon de café reste aimable et attentif aux désirs des clients, depuis le départ et le mariage de la collègue dont il était amoureux, il semble ailleurs, écrasé par le chagrin. L'amoureux éconduit se berce de rêves de vengeance et s'abîme dans l'alcool, en attendant qu'une occasion se présente. "Voici des mois que je le projette : je les tuerai. Ce matin j'y étais décidé. [...] Pourtant j'ai hésité. J'aurais bien tué le premier mais il est parti trop vite. Le deuxième, ce n'est pas moi mais le patron qui l'a servi. Et ensuite, comme les heures passaient, j'ai eu tellement de travail que je n'ai pu prendre le temps de préparer mes meurtres. [...] Tous ont quitté les lieux sans que je les malmène. Tous sauf un."

Dimanche
Un couple va fêter ses vingt-cinq ans de vie commune. Elle, abîmée par la maladie et l'âge, est soignée avec attention par ce mari modèle encore au travail. "Docteur que puis-je faire ? Ne pas vieillir, ne pas grossir, ne pas devenir cette femme flétrie, répugnante, qui lasse, qui encombre. Le mari est plus jeune et encore désirable. Dix ans de moins, les cheveux en brosse. Pas de ventre et pas de rides." Est-ce la perspective de la retraite proche ou le charme de Claire, la jeune secrétaire qu'il côtoie chaque jour avec éblouissement au bureau, qui font que l'époux parfait se prend à rêver de liberté, de nouveau départ, au point d'aider quelque peu le sort ?

Dans le placard
Un homme, "éternel emmuré de l'histoire", un de ceux qui regardent défiler la vie sans rien comprendre, se retrouve enfermé dans le placard où Fabienne range ses vêtements. Il ne sait pas ce qu'il fait là, n'ose appeler celle qui semble l'avoir oublié, quand, comme dans un cauchemar, un incendie se déclare dans l'appartement...

L'amour est aveugle
Une femme riche et insouciante et un jeune musicien, pauvre et paumé, vivent ensemble. "Malgré la sécurité que lui apportait le mariage, il restait irritable, sujet à des brusques éclats. [...] Elle l'avait épousé plus que pauvre, acculé aux pires compromissions. Un sauvetage. Elle l'aimait d'avoir besoin d'elle. Elle ne lui refusait rien, il suffisait qu'il demande. Il recevait, demeurait maussade. Son foie, peut-être. Il buvait de l'alcool à satiété". Elle le dorlote comme un caniche, lui s'accommode mal de cette prison dorée. Résultat : un mort au tableau.

Le héros
Comment continuer comme si de rien n'était quand on découvre dans le journal la photo d'un homme vous ressemblant trait pour trait, qui a risqué sa vie pour en sauver un autre de la noyade ? N'y en aurait-il pas un de trop ?

Nombre
Un trentenaire passionné par les chiffres et les statistiques compte tout, pathologiquement. Ça a commencé avec les moutons du grand-père qu'il aimait tant, puis "2 800 000 litres d'eau par seconde. Un milliard de chinois. Cent milliards de neurones. Cent mille milliards de poèmes. Tant et tant d'années-lumière. Il retournera chez le médecin. Il se fera doubler la dose."

Trace
Un jeune adolescent doit passer la frontière. Un jeu ou une fuite pour la survie ? L'hypothèse reste en suspens jusqu'aux dernières lignes, mais le trouble ressenti à la vue de cette femme, reléguée par le village et la misère dans une cabane en bois avec son nouveau-né sur le cœur, sera, lui, d'une intensité bien réelle, imprimé dans sa rétine de façon indélébile.

Allo Madja
Une femme téléphone à sa presque amie. Un coup de fil pour dire à la fois sa détresse et son amour, sous couvert de banalités voir de futilités. Un appel au secours tellement ténu qu'il risquerait bien de retentir dans le vide.

Du sang au trois
Quand la pièce de boulevard où femme, mari et maîtresse se croisent, vient s'emmêler à la vie des coulisses, aux sentiments vrais d'un couple de théâtre uni dans la vie, l'amour et la jalousie joués sur scène peuvent rapidement déborder sur la réalité et l'histoire virer au drame... Début : "Quand vous le tuez au dernier acte, pouvez-vous pleurer des vraies larmes, ou désirez-vous de la glycérine ?" Fin : "Pauvre Clément. Je t'aimais."

Sur le Dorbat
Suite à un pari idiot, deux amis partent une semaine en haute montagne. Chacun, au retour, espère être l'élu du cœur de la belle Sylvana et l'épouser. Et si, des deux partenaires de cordée à l'assaut de leur dernière paroi, il n'en restait plus qu'un ?

Les rééditions – Une tasse de café publiée en 1969, Été et Nabiroga en 1977, La bataille de Clontarf et Le trou en1979, Alors le ciel et Genèse en 1981, Les derniers jours heureux en 2002 – sont des nouvelles minutieusement choisies pour leur concordance avec la tonalité du recueil. L'amour y hoquette, les liens qui unissent les couples se nouent et rompent dans les malentendus et la souffrance, l'enfance y est abîmée, la vieillesse angoissante, la guerre se reflète dans le miroir et la solitude recouvre l'ensemble d'un lourd couvercle.

Autant d'histoires, autant de drames et de cadavres, de victimes et de meurtriers aussi ordinaires les uns que les autres, presque interchangeables, mais tous mal-aimés, tour à tour coupables et innocents, saisis en instantané au bord de l'abîme.

A partir d'une séquence, d'une anecdote ou d'un fait divers, Annie Saumont pénètre l'intimité de ses personnages, décrypte leurs pensées, explore leur inconscient, les saisit à un ultime instant de fragilité où le cadre du quotidien explose libérant leurs peurs, leurs pulsions. Un ou deux détails suffisent pour leur conférer une consistance, les rendre crédibles tout en leur conservant une part de mystère et d'ambiguïté. D'humanité.

Opposée à tout jugement sur les êtres dont elle met en musique le désarroi, la solitude, l'abandon, la vieillesse, l'ennui, la difficulté à être ou à s'inscrire dans le monde qui les entoure, ou parfois la pathologie, Annie Saumont, par petite touches, tout en suggestion, montre sans démontrer comment le hasard des circonstances peut précipiter la chute de ces frères et sœurs qui nous ressemblent de façon troublante. C'est sur les petites choses, les gestes, les objets du quotidien, les silences, qu'Annie Saumont s'appuie, avec une précision implacable, pour révéler l'intime de ses personnages, les frustrations profondément enfouies qui les minent, les espoirs qui les tiennent vivants.

En quelques paragraphes, en toute simplicité, dans un jeu perpétuel entre neutralité, humour, humanité et gravité, Annie Saumont se sert du quotidien, du banal pour entrouvrir la porte à la folie. Avec une maîtrise parfaite de l'instant où ses personnages basculent, disjonctent, elle crée une intensité dramatique d'autant plus forte qu'elle est fulgurante, positionnant le lecteur face à un miroir non comme voyeur mais tour à tour en victime ou bourreau potentiels, précipitant chacun au bord du gouffre de ses propres angoisses.

Dans ces dix-neuf nouvelles, ce n'est plus le fait divers ni l'instant où la chute se prépare qui importent, mais la quête d'amour et son revers : le désamour, et les troubles, dérapages ou dérèglements affectifs ou sociaux, illustrations sublimes de la férocité de la vie et de l'absurdité du monde, qui l'accompagnent.
Le recueil, construit autour du vide et de la solitude sous toutes ses formes, dit, avec une violence d'autant plus ravageuse qu'elle est contenue, le manque ressenti devant l'absence, le désintérêt ou la trahison de l'autre. Thème en parfaite adéquation avec l'incessante quête de l'écrivain elle-même sur la forme, son goût prononcé pour l'ellipse, l'épure, la suspension.
L'important n'est ni ce qui est dit, ni qui le dit, mais la manière dont l'auteur, par ses vides et ses pleins, entre feu et glace, l'incarne.

L'auteur, à creuser avec obstination le sillon d'un style reconnaissable entre mille, bousculant la syntaxe et la ponctuation, gommant les négations, osant les anglicismes, s'est créé une langue singulière, minimaliste, oralisée, musicale, et d'une minutie extrême, propre à accompagner les bouleversements les plus intimes de ses personnages, arrive aujourd'hui à une maîtrise sans appel pour atteindre sa cible : déranger, déstabiliser le lecteur pour lui faire voir l'autre.

Un des meilleurs recueils de la plus grande des nouvellistes françaises, la plus originale aussi, à découvrir, lire, relire, avec jouissance. Résolument !

Dominique Baillon-Lalande 
(03/08/13)    



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Editions Julliard

(Avril 2013)
210 pages - 17 €




Annie Saumont,
traductrice et nouvelliste, est l'auteur d’une trentaine de recueils qui ont obtenu les prix les plus prestigieux : Goncourt de la nouvelle, Grand prix de la nouvelle de la Société des gens de lettres, Prix Renaissance de la nouvelle, Prix de l'Académie française...
Ses textes sont traduits dans le monde entier.
Plusieurs recueils ont paru en collection de poche.










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Wikipédia






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Pocket

(Septembre 2014)
192 pages - 6,20 €