Retour à l'accueil du site | ||||||||
À la plus grande surprise de tous, l'ouverture des frontières en Hongrie et Tchécoslovaquie vers le "monde libre" provoquant un exil massif de ressortissants de RDA, leur descente dans la rue lors des "manifestations du lundi" depuis plusieurs mois provoque la démission du conseil et du Politburo et conduit à l'improbable chute du "mur de la honte" qui séparait la ville en deux, ouvrant la voie à la réunification allemande. Mais, lorsque les lampions s'éteignent la peur rattrape l'éblouissante jeune fille. Celle qui s'est construite jusqu'alors contre une idéologie et un système, perd avec l'effondrement de la RDA tous ses repères. Son idéalisme et surtout, l'espoir utopique d'une vie sans entraves et dans le respect de chacun, peine à résister face à la réalité. Maya la révoltée, qui concevait sa peinture comme « un art de combat, de dénonciation de l’arbitraire, un hommage à la mémoire des souffrances avant l’oubli », se trouve déstabilisée par la profusion de biens et l'individualisme de la société capitaliste qu'elle découvre à l'Ouest alors que de l'autre côté, à Iéna, avec « l’avènement de la liberté, le chômage et la morosité s'étaient invités au sein même de sa cellule familiale » amenant « l'aigreur qui cherchait un bouc émissaire et finit par se trouver des ennemis. » Pendant ce temps, Stan et son ami Pascal, fascinés par cette ville en perpétuel mouvement, ont décidé d'y rester et de s'y installer. Avec enthousiasme et en y intégrant Clémentine, la colocataire de Maya, ils ont reformé un groupe de musique qui trouve assez rapidement sa place. Alors, si l'amour entre Maya et Stan est toujours aussi brûlant, des failles s’entrouvrent derrière les lumineux ébats des corps. Des incompréhensions et des frustrations apparaissent nourrissant chez Maya la tumultueuse, l’excessive, des colères à la dimension de sa souffrance, que Stan a de plus en plus de mal à endiguer. Personne n'avait un instant imaginé que cette liberté nouvelle précipiterait une part de la population dans la haine et l'extrémisme néonazi, amenant une recrudescence d'actes racistes et xénophobes. Pour la militante pacifique, libertaire et humaniste, engagée avec Clémentine dans un groupe alternatif gérant un bar antifasciste, chaque assassinat d’étrangers est source de colère et d'inquiétude pour l'avenir de la ville. Pour la jeune fille venue de l'Est, que d’anciens voisins soient les auteurs de ces crimes affreux ajoute aux faits la honte et l'incompréhension. Que ce soient des actes racistes est pour la jeune fille métisse une blessure et réveille la peur tapie au plus profond de son passé. Une déstabilisation majeure qui lui fera voir autrement cet amant français rayonnant de bonheur, « Maya peinait, malmenée entre la couleur de sa peau qui la marginalisait sans qu’elle comprenne bien pourquoi, la pénible adaptation aux dures réalités de la vie dans le capitalisme, et moi je ne me rendais compte de rien et fuyais la confrontation. » Pour elle, j'étais devenu « le naïf, le complaisant, l'aveugle, le lâche sans conscience politique, tout juste bon à m'amuser avec Pascal le phallocrate, à rire, à boire, et à faire l'amour à toute heure du jour et de la nuit », « le lit d'insouciance sur lequel allait croître sans encombre la gangrène brune que je refusais de reconnaître, jusqu'à ce qu'il soit trop tard. » Dans cette histoire, au croisement de la fiction et du fait historique, courant sur les dix-huit mois qui suivirent la chute du mur de Berlin, espoirs et désespoir s'entremêlent. Par ricochet, la destruction du symbole même du rideau de fer dressé entre les deux "géants", bloc communiste et bloc capitaliste, en fait tomber d'autres. Et c'est l'impact de cet événement éminemment politique sur le destin individuel des personnages qui y assistent et en deviennent acteurs, qui nous est raconté. C'est par le prisme d'une plongée dans l’intériorité des personnages, de la mise à nu des émotions, des aspirations et doutes d'un groupe de jeunes gens portés et animé par l’onde de choc qu’a connue Berlin il y a vingt-cinq ans, mais aussi dans l'intimité des corps et des cœurs d'un couple d'amoureux, que Berlinoise raconte cette « révolution pacifique ». Mais ce roman est aussi celui des illusions perdues. L'écriture de Wilfried N’Sondé, également musicien, toujours en quête de rythme et de flux, aimant à jouer du contretemps, épouse le sens se faisant fluide, suspendue ou sensuelle pour dire la poésie des corps et de l'amour, la naïveté, les espoirs et les jours heureux ou plus hachée, voire brutale, quand il lui faut incarner les peurs de Maya, son flirt avec la folie et la violence, exprimer la colère ou le réveil du fascisme. Ce qui fait la force réelle de ce texte solaire c'est sa jeunesse, son énergie, sa musicalité et sa façon d'évoquer l'histoire politique de l'intérieur, en plongeant dans le sensible, le vivant, l'humain. Sans fard, sans clichés, sans stratégie de séduction mais avec une attraction qui semble naturelle vers la joie de l'instant (comme son personnage Stan), avec, malgré la désillusion collective et l'horreur des meurtres racistes, l'espoir chevillé au corps qu'il suffirait de si peu pour que demain, peut-être, l'avenir sourie à tous. Un roman d'apprentissage politique et amoureux qui ressemble à une page heureuse qu'on relit avant de définitivement la tourner, sans nostalgie mais pour y trouver la force et la volonté de porter son regard plus loin, vers d'autres chemins, d'autres combats. Dominique Baillon-Lalande (04/02/15) |
Sommaire Lectures Actes Sud (Janvier 2015) 176 pages - 18 € Babel (Février 2020) 176 pages - 6,80 €
Bio-bibliographie de Wilfried N'Sondé sur Wikipédia Découvrir sur notre site un autre roman du même auteur : Fleur de béton |
||||||