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Dominique NOGUEZ
Comment rater complètement sa vie en onze leçons
Réussir sa vie, si l'on en croit ce que chantait Tapie dans ses belles
années, c'est, entre autres, « être au carnaval / un
des rois de la fête ». Admettons. Réussir, oui, bon
Mais rater sa vie, ce n'est pas donné à tout le monde. Faire de
son existence un bel et complet échec, y mettre du sien
voilà
à quoi nous invite Dominique Noguez, dans un livre qui propose recettes
ou principes afin d'atteindre le but fixé : le ratage. Ces recettes farceuses,
d'une contradiction assumée, le lecteur les découvre à
partir de la page 75 (de cette nouvelle édition). Mais en préambule,
en cinq chapitres pétillants d'intelligence, de culture, et de rire salubre,
Noguez dresse un tableau époustouflant de la condition humaine historique
et contemporaine. Il apostrophe le lecteur et la lectrice car il envisage
son public de façon large et personnelle, le ratage, après tout,
c'est aussi et avant tout de l'intime en connivence. Et, malicieusement,
retourne le propos attendu. Partons de la naissance, commune à tous :
nous voilà « jetés au vent mauvais » dès
la sortie du ventre maternel. « Votre vie a peut-être mal commencé,
mais, avec un peu de chance, elle peut continuer encore plus mal ».
L'élégance de l'ironie
Ouvrant la démonstration sur l'étymologie de « rater »,
qui renvoie à « rat », le rongeur et l'expression
oubliée aujourd'hui « prendre un rat »,
Dominique Noguez s'en donne à cur joie. Car le ratage est affaire
de point de vue. On est toujours le raté de quelqu'un. Tout est relatif
: « Qui rate vraiment sa vie, la star jouisseuse qui meurt à
trente ans d'une surdose d'héroïne ou Jeanne Calment qui n'a connu
comme tout plaisir en cent vingt-deux ans qu'un doigt de porto chaque dimanche
? La savetier pépère mais pauvre ou le financier à qui
ses stocks options donnent une embolie ? ». On le voit : le
ton est définitivement à l'humour noir, décapant. Et le
regard porté sur le monde et la société acide et allègre,
réjouissant.
Il ne suffit pas de rater sa vie, encore faut-il en avoir conscience. Noguez
s'exprime en moraliste rigolard, conscient des inanités du temps. Plutôt
que de les déplorer, il convient de s'en amuser. De pointer du doigt
le vulgaire ou l'absurde. La téléréalité et les
concours de miss en tous genres sont évoqués, ainsi que quelques
programmes de type TF1 : « Celui-ci, professeur de lettres à
la retraite qui "veut gagner des millions", est prêt, sous le
regard humide de son épouse et de dix millions de spectateurs en fin
de repas, à répondre à des questions aussi "pointues"
que : Quel était le prénom de César ? a) Paul ? b) Jules
? c) Marius ? d) Fanny ? ».
Inventant le concept de « ratologie », Noguez le décline
en quelques formules mathématiques du type : trb = nrc - nre,
où le trb est le Taux de Ratage Brut. Pour enchaîner sur
le trn (Taux de Ratage Net) et nous inviter à déterminer
les trn respectifs de Mérimée, du Dr Petiot ou de Sophie
Marceau. Trn auquel il conviendra d'ajouter ou de retrancher ,
par exemple, le cA ou le cM (coefficient d'Ambition ou de Moralité).
Le précis de ratologie de Noguez repose sur des bases d'observation solides,
facétieusement mises en équations.
Comment vraiment rater sa vie ? Est-il plus facile de la rater dans un
pays en guerre ou en paix ? Le contexte économique, politique, ou social,
est-il à prendre en compte ? Et surtout, peut-on réellement déterminer
si l'on a raté sa vie, quand la notion même de ratage ouvre sur
des perspectives inespérées de réussite ? Noguez invente
le syndrome de Christophe Colomb et des surs Tatin : de leurs ratages
initiaux (ouvrir une nouvelle route maritime vers les Indes, ou préparer
un tarte aux pommes) sont nés des succès inattendus, qui ont fait
oublier l'échec premier : « Car un danger guette : les réussites
involontaires ».
Courez lire ce traité magiquement délectable ! Attention, fou rire
garanti ! Et sourire parfois douloureusement salutaire. Car ce sont nos vies
ratées et réussies conscientes ou subies que Noguez
évoque, aussi.
Christine Bini
(21/05/14)
Lire d'autres articles de Christine Bini sur http://christinebini.blogspot.fr/
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Sommaire
Lectures
Rivages Poche
(Mai 2014)
240 pages - 6,50 €
Nouvelle édition augmentée du livre qui a paru chez Payot en 2002.
Dominique Noguez,
né en 1942, a écrit plusieurs dizaines d'ouvrages
(romans, récits, essais
) et obtenu plusieurs prix littéraires
dont le Femina en 1997 pour Amour noir.
Bio-bibliographie sur
Wikipédia
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