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Jo NESBØ


Du sang sur la glace


Olav est tueur à gages, un métier comme un autre pour celui qui avoue n'être apte à rien.  Conducteur trop voyant, braqueur raté, trop mauvais en maths pour être recouvreur de dettes ou dealer, proxénète trop sensible au charme féminin, tuer sur ordre est le seul métier à sa mesure : « Je n’arrive pas à rouler lentement, je suis soft comme du beurre, je tombe bien trop facilement amoureux, je perds la tête quand je suis furieux, et je suis mauvais en maths. J’ai lu un ou deux trucs, mais j’en sais bien peu et en tout cas pas le genre de choses qui peuvent être utiles. Et j’écris plus lentement que ne se forme une stalactite. Alors à quoi diable un homme comme Daniel Hoffmann pouvait-il employer un homme comme moi ? La réponse est – comme vous l’aviez peut-être déjà déduit – expéditeur. »
Ses différents séjours en prison l'ont convaincu d'en rester à ce strict domaine de compétence.
Il n’est pas le meilleur ni le plus malin, mais c'est un employé obéissant et loyal qui sait expédier ad patres les personnes désignées par son boss proprement et sans poser de questions.
Hoffmann, son employeur, est un grand caïd du milieu norvégien qui, bien qu'un autre mafieux, surnommé « Le Pêcheur » lui fasse de la concurrence, a la main sur la plus grande part du trafic d'héroïne. C'est principalement cette guerre entre les deux hommes qui fournit à Olav son travail.

Juste avant Noël, alors que les températures battent des records de froid, Hoffmann lui confie la délicate mission de tuer une femme, la sienne. Il est prêt à multiplier le tarif habituel par cinq pour se débarrasser sans être inquiété de cette deuxième épouse qui a le mauvais goût de le tromper. 

Olav n'y voit aucun inconvénient. Elle ou un autre, qu'importe.
Pour préparer son intervention, il loue un appartement avec vue sur la propriété des Hoffman et surveille les visites reçues par la belle Corina. Les soupçons du mari sont effectivement fondés : chaque après-midi, un amant rejoint l'épouse pour la baiser de façon brutale à la limite de la maltraitance. Saisi par le contraste entre sa beauté à elle et sa violence à lui, il tombe sous le charme de celle qu'il doit éliminer. Conscient que son patron va lui reprocher bientôt le peu d'empressement qu'il met à remplir son contrat et qu'il risque fort de ne pas apprécier cette nouvelle donne, Olav décide de changer de cible. C'est le jeune homme qui lors de ses visites moleste sa maîtresse, qu'il va éliminer à la place de l'épouse. La soumission suspecte de la femme lui fait d'ailleurs soupçonner  derrière tout cela un possible chantage dont elle serait  victime et il se sent en devoir de la sauver.
Quand il passe à l'acte, l'expéditeur ignore encore que celui qu'il a dans son viseur n'est autre que le fils du commanditaire, né d'un premier mariage… De quoi récolter la colère de celui-ci et se trouver en but à sa vengeance et à une poursuite sans merci.   
La mission ne pourra s'achever qu'avec la mort de l'un des deux, le mari de préférence pour qu'il puisse s'envoler ensuite à l'étranger avec celle dont il est tombé amoureux.

Après avoir caché Corina pour la soustraire aux éventuelles représailles d'un mari furieux de la tournure prise par cette histoire, il se décide à passer du côté de l'ennemi pour parvenir à ses fins.
Bien qu'il ait supprimé trois de ses sbires sur ordre de son chef par le passé, il se décide donc à rendre visite au Pêcheur pour lui proposer un marché :  le débarrasser de celui qui fait obstacle à son ascension et l'empêche d'avoir la main sur l'ensemble du marché de la drogue contre la fourniture de renfort et d'armes pour pouvoir mettre en œuvre le plan qu'il a élaboré pour y parvenir...

Si le court roman par sa forme, son scénario et sa construction est assez classique, il tire de sa brièveté une véritable intensité et de l'humour qui s'y loge une constante vivacité.
L'utilisation du personnage du tueur comme narrateur qui nous fait entrer dans l'intrigue par l'intérieur avec une vision déformée assez inattendue, est par ailleurs une vraie réussite. 
Dans ce récit écrit à la première personne, ce qui ferre immédiatement est moins l’intrigue, au demeurant assez simple, que le personnage de « l'expéditeur » et sa psychologie. 
C'est un héros à l'enfance bancale, handicapé par une lourde dyslexie, un sentimental timide et  maladroit qu'un rien émeut ou foudroie en un instant.  S'il ne manque pas d'intelligence, s’intéresse à tout et pioche dans ses lectures (avec une préférence obsessionnelle pour Les Misérables) de quoi nourrir sa réflexion et son existence, il le fait à la manière d'un enfant sans toujours saisir le sens de ce qui s'offre à lui.

Oslo sous la neige devient ici un lieu irréel, hors du temps, propice au dérapage et à la déraison. Dans ce décor écrasé par la blancheur et le silence où la ville semble endormie par le froid, les situations, les sentiments, les décisions et les plans ourdis par cet étrange tueur à gages,  tout prend du relief,  se décale, devient instable et fulgurant. Le lecteur, pris au dépourvu, se laisse avec angoisse embarquer dans les péripéties de ce naïf au grand cœur auquel l'expérience et le pragmatisme ont appris à aller toujours droit au but en fonction des circonstances, en espérant qu'il en sortira indemne. 

Du sang sur la glace est un polar bien troussé qui se lit d'une traite, avec ce qu'il faut de suspense, de surprises et d'humour. Mais c'est surtout un divertissement au héros diablement humain, entre violence et tendresse, qui provoque notre empathie et se trouve suffisamment « hors norme » pour y ajouter une dose de sel lui conférant une saveur singulière.

Dominique Baillon-Lalande 
(24/04/15)    



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Noir & polar








Gallimard / Série Noire

(Avril 2015)
160 pages - 14,90 €



Folio Policier

(Mars 2016)
176 pages - 6,50 €


Traduit du norvégien
par
Céline Romand-Monnier







Jo Nesbø,
né en 1960 à Oslo,
a déjà publié une quinzaine de romans policiers dont les dix volumes des aventures de l’inspecteur Harry Hole traduits en une quarantaine de langues.


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