La retraite du Beretta
David Nahmias aime Paris et plus particulièrement le XIVe arrondissement. Les trois nouvelles qui constituent ce recueil s’y déroulent et on suit avec plaisir les personnages dans leurs errances au fil des rues du quartier, de jour comme de nuit. Ce sont des textes d’atmosphère, avec des clins d’œil à Simenon et Léo Malet, entre autres. Il y est question de meurtres, avec des victimes abattues par balle, pendues ou dépecées, mais si la première nouvelle est une enquête logique, digne du commissaire Maigret, les deux suivantes ont plus à voir avec l’imaginaire ou le fantastique.
La retraite du Beretta, qui ouvre le recueil et lui donne son titre, met en scène un policier à la retraite, Georges Lecouder, dont la principale occupation est sa promenade matinale entre la rue de la Porte de Montrouge, Alésia et Denfert-Rochereau.
Ce matin-là, il hésita, se caressa la barbe, une barbe que depuis un mois et demi déjà il laissait pousser.
Par paresse ! Et pour mesurer à la longueur de ses poils sa lassitude croissante.
Sans bien savoir pourquoi, ce jour-là, il prend son pistolet, qui avait échappé à l’inventaire quand il avait terminé sa carrière.
Il marcha dans les rues, l’esprit léger. Incapable de comprendre pourquoi la présence de cette arme, entre sa chemise et sa ceinture, avait gommé son malaise existentiel.
Ses pas le conduisent au cimetière du Montparnasse. Il s’appuie contre le mur d’un caveau, sort son Beretta, cherche une cible autour de lui et, sans raison, tue une femme venue se recueillir sur une tombe.
Aux informations, il apprend que cette femme a été abattue dans le carré israélite du cimetière et que le crime est qualifié d’antisémite. Ce n’était absolument pas son intention et il est offusqué par l’horrible interprétation de son geste.
Georges rumina toute la nuit sans trouver le sommeil. Il ne pouvait effacer ce crime antisémite et le rétrograder (pensait-il) dans la gamme de ceux commis par des malades mentaux qu’en accomplissant un second meurtre, mais en prenant la précaution de s’assurer de la non judaïcité de la victime.
C’est donc devant une église qu’il tue sa deuxième victime et il continue la série sur un quai de la gare Montparnasse.
L’inspecteur chargé de l’enquête arpente alors, lui aussi, le quartier et un jeu du chat et de la souris entre l’assassin et l’enquêteur constitue l’essentiel de la nouvelle.
Le policier retraité sera-t-il soupçonné, démasqué, arrêté ? Suspense…
Du noir pour un sari bleu commence aussi comme un polar. Un couple sort d’un bar et se réfugie dans un renfoncement pour s’embrasser. Mais en levant les yeux, les tourtereaux découvrent un corps pendu au-dessus d’eux. La police arrive. Antoine Malet (comment ne pas penser à l’auteur de Nestor Burma ?) est chargé de l’enquête. Il passe la nuit au commissariat, obsédé par cette jeune femme d’origine hindoue pendue à une poutre. Il sort au petit matin et déambule dans le quartier en cherchant à comprendre.
C’est dans un bistrot que cette étrange histoire trouvera un dénouement très littéraire.
Dans la dernière nouvelle, Tête inconnue à cette adresse, Antoine Malet (encore lui) se rend dans une laverie automatique du quatorzième arrondissement (évidemment) vers vingt-trois heures pour une lessive nocturne. Il s’assoit et regarde tourner le linge quand une femme élégante entre à son tour et vide son sac dans une autre machine. Elle lance un cycle long et s’en va. Antoine jette un œil vers le hublot et voit l’eau se colorer de rouge. Puis il distingue une tête parmi les vêtements. Avant même qu’il ait le temps d’appeler la police, des hommes en treillis envahissent la laverie et ouvrent les machines. Antoine est embarqué dans une voiture qui file vers Arcueil ou Cachan où le policier le fait sortir du véhicule.
Je m'extirpai avec peine de ma place pour le suivre dans l'air glacial de ce coin de banlieue que je me mis à haïr d'instinct.
Chaque fois que je découvre un de ses recoins, chaque fois que le hasard – car ça ne peut être que le hasard –, m'entraîne hors des murs de Paris, j'éprouve un sentiment d'inquiétude ; une morosité nauséeuse s'empare de moi. J'ai besoin de savoir que le boulevard extérieur m'entoure de ses bras ; je ne respire correctement qu'étouffé par cette étreinte...
Antoine est conduit dans un cinéma désaffecté pour y être interrogé.
Modiano qui s'émouvait déjà en découvrant d'anciennes salles de cinéma transformées en supermarché, que penserait-il en apprenant qu'elles servaient aussi de succursale à la criminelle ?... De morgue provisoire !... Ah, nostalgie quand tu nous tiens !
Après l’interrogatoire, Antoine rentre chez lui.
Grosse surprise le lendemain matin lorsqu’il voit sa photo dans le journal. Il n’y est pas présenté comme suspect mais comme victime. Assassiné et décapité. Sa première pensée est pour sa mère. Pourvu qu’elle ne tombe pas sur cette information aussi ignoble que farfelue.
Il parvient à se procurer les coordonnées de l’auteur de l’article et nous voilà partis pour une histoire surprenante, pleine de rebondissements, sur une soixantaine de pages.
David Nahmias nous promène dans tous les sens du terme au fil de ce recueil, dans les rues de son cher arrondissement et dans des intrigues aussi rocambolesques que simenoniennes.
Atmosphère, atmosphère ! Oui, ce recueil a une sacrée gueule d’atmosphère et c’est un grand régal d’écriture et d’intelligence. Cet ouvrage ouvre une collection dirigée par David Nahmias, on attend avec curiosité les prochains volumes…
Serge Cabrol
(09/08/14)