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Emmanuelle MAFFESOLI & Clément BOSQUÉ


Septembre ! Septembre !


Paris et son éternelle jeunesse. Déambulations, rencontres, dîners, activités professionnelles… Nous suivons un jeune homme qui a quitté sa province et arrive dans la capitale comme tant d'autres avant lui au fil de l'histoire littéraire : d'Artagnan, Rastignac, Frédéric Moreau…

Lui s'appelle Pierre et son occupation principale, après son arrivée, est de marcher dans les rues.
Ce n'est pas vraiment qu'il aime marcher mais une force irrésistible l'y contraint.
L'appartement de Pierre persistait à le projeter à nouveau dehors dès qu'il mettait un pied chez lui. Les muscles d'une langue de baleine le poussaient inexorablement vers la mâchoire, hors du gosier. Il retrouvait alors les rues de son quartier...

Au cours de ses déambulations, sa première rencontre est une jeune femme blonde, Josépha, qui pose pour un peintre. Il la suit jusqu'à une fête chez des inconnus mais, au bout d'un moment, s'aperçoit qu'elle a disparu. En titubant, il se dirigea vers le premier métro.
Quelques jours plus tard, il croise une autre femme, Rebecca, sa voisine de palier…

Pierre est documentaliste à Radio France. Les auteurs nous font un portrait incisif des journalistes et de ce qu'ils nomment "la passion de l'info", susceptible de les entraîner dans la plus grande agitation dès qu'un événement survient brutalement, au point d'envahir toute la scène médiatique. On le voit souvent, quand un homme politique français apparaît menotté à New York ou qu'une jeune fille rom est reconduite au Kosovo…
Les jours comme celui-ci, quand le tourbillon de l'info s'emballait, ils mettaient en place des systèmes permettant aux auditeurs de suivre minute par minute le déroulement des événements et, plus ils répétaient les données du problème, plus celui-ci prenait du poids, devenait énorme, obèse. L'Information devenait une baleine aux formes généreuses dans laquelle le monde entier pouvait se réfugier, tous coude à coude, bien serrés, au chaud, enveloppés dans le ventre de l'information.

Au cœur du roman s'installe la relation de Pierre avec sa voisine. Rebecca écrit des articles dans le Magazine littéraire et Les Inrocks et vit avec Dan, un jeune homme pâle, chétif, plongé dans une thèse à laquelle il ne semble plus croire lui-même et qui dénigre le monde entier.

Pierre est à la fois acteur et spectateur chez ses voisins, celui qu'on invite lorsqu'on reçoit des amis pour qu'il assiste au spectacle et la soirée qu'il passe chez Rebecca et Dan avec leurs "amis" Fabrice et Cécile est un grand morceau d'anthologie.
L'écriture des auteurs magnifie le quotidien sans peur de l'hyperbole et la préparation du repas devient un acte sacrificiel.
Pierre sentait que la préparation de ce repas était un corps à corps trivial : Rebecca s'apprêtait à gaver ses invités pour les contenir et les posséder. Elle devenait ogresse, loin de la personne douce et embarrassée qu'elle s'appliquait habituellement à être.
C'étaient les préparatifs d'un sacrifice, ou plutôt les libations rituelles post-holocauste. Rebecca, en hiérophante, avait déjà découpé les membres des immolés, et son hachoir était ensanglanté.

Pour la suite de la soirée, rendez-vous page157, vous ne serez pas déçus.

Pierre parle peu mais il aime écouter Rebecca. Ils vont ensemble rencontrer des personnalités intellectuelles, pour leurs travaux respectifs et ces interviews donnent lieu à des scènes mémorables où Emmanuelle Maffesoli et Clément Bosqué s'en donnent à cœur joie sans lésiner sur la dérision et l'ironie. De belles caricatures !
C'est tout d'abord le neuro-physicien Jean-Denis Berger, un "anarchiste" couvert d'honneurs et de médailles, qui les reçoit dans son bureau en descendant du whisky et finit effondré dans son fauteuil.
C'est ensuite le poète-philosophe Jean-Pierre Baille qui déclare qu'il faut aller de métaphores en métonymies pour trouver du sens et que l'être humain est un animal narratif qui ne connaît pas sa propre narration… En l'occurrence, Christian Nioulescu, psychanalyste chargé de la rubrique Sciences humaines du Magazine littéraire, a exigé d'accompagner Rebecca et de conduire lui même l'entretien. Nioulescu est à deux doigts de se pâmer tant est immense le bonheur de rencontrer le Maître. Nioulescu rougissait de plus en plus. Congestionné, il avait l'air d'un enfant gourmand, surpris entre honte et plaisir, les joues encore pleines, en train de vider la bonbonnière du salon.
Une fois encore, Pierre, au spectacle, se régale.

La grande réussite de ce roman est la distance que nous donne le regard de Pierre sur le monde qui l'entoure et les personnes qu'il rencontre. Il observe, intervient peu, écoute plus qu'il ne parle mais se réserve le droit de penser.
Les femmes – Josépha, Rebecca – trouvent grâce à ses yeux. C'est différent pour les hommes – et notamment pour Dan – à part pour un mystérieux baron qu'on croise au début du livre et qui ne sera pas étranger à son dénouement.
L'été passe, septembre arrive, Pierre ne craint pas l'orage. N'en disons pas plus…

Serge Cabrol 
(27/10/13)    



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Léo Scheer

(Août 2013)
262 pages - 19 €













Emmanuelle Maffesoli
a quitté l'enseignement et travaille dans l'édition.
Clément Bosqué,
agrégé d'anglais, est directeur d'hôpital.
Septembre ! Septembre ! est leur premier roman.