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Le narrateur, en utilisant le "vous" cher à Butor, tout en renouant avec l'écriture blanche et minimaliste du Nouveau Roman, s'adresse à la fois à lui-même et à nous, lecteurs. Par ce biais, il instaure, à la fois une distance, le vouvoiement, et une dangereuse proximité ; ce "vous", c'est lui, c'est nous, c'est moi, l'éternel amoureux, celui qui, convoqué par l'être aimé pour effacer les dernières traces d'une relation, ici un cadre et un rasoir, – « Les objets sont des fossiles qui retiennent captifs le temps. Pour s'affranchir de quelqu'un, il faut d'abord se séparer de ces objets. » – va effectivement ne se heurter qu’à l'absence, une photographie dans un cadre, et à la coupure de la séparation symbolisée par le rasoir. Celui qui quitte l'autre, tranche, sépare ceux qui, un moment, ont cru être seuls au monde. Ce jeune Coréen de 37 ans, mal marié, au bord du licenciement économique, vit cette rencontre avec une compatriote au Mexique comme l’acmé de sa vie – « Au moment où vos lèvres s'étaient approchées des siennes, tous vos sens s'étaient éveillés, tendus à l'extrême. Vous entendiez le bruit de la sève monter dans les arbres depuis les racines jusqu'à la pointe des branches, vous voyiez la rosée rouler comme des perles sur l'herbe, les rayons de la lune fendre l'air en vibrant, vous sentiez le parfum des fleurs pas encore écloses. [...] La lune était descendue tout près de la terre, si près que vous l'auriez touchée en tendant la main. Le monde resplendissait comme au premier jour. » – et aussi comme sa fin : « Des rayons blancs, froids, qui vous invitaient à entrer dans l'eau, vous tiraient par le bras. [...] Le clair de lune était entré en vous. La lune y avait tracé un chemin. Vous veniez d'avouer que, vous aussi, vous pouviez mourir maintenant. » Plus qu'un court roman d'amour, un long poème de mort, la chronique d'une dépression et d’un suicide annoncé. Cette jeune femme que "vous" rencontrez par hasard et que "vous" retrouvez tout aussi par hasard parce que "vous" êtes muté dans sa ville, le destin ? Cette jeune femme n’est-elle pas veuve et si pâle et si brune et si maigre ? Sylvie Lansade (16/07/16) |
Sommaire Lectures Serge Safran (Mars 2016) 144 pages - 15,90 € Traduit du coréen par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet
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