Retour à l'accueil du site





Marie-Hélène LAFON


Chantiers



Le « elle » laisse la place au « je » comme si la naissance en tant qu’être de chair se faisait dans ce passage de frontière de la ferme à la Sorbonne.
« De l’autre côté des arbres, au-delà d’eux, au pensionnat, à la Sorbonne, à Saint-Germain-des-Prés, j’ai senti, j’ai appris à savoir ce qu’humilié veut dire ; c’est une famille de mots, une tribu besogneuse, il y a humilité, il y a humble,  et humblement. Humilié donc, resté au sol ou rendu à lui, jeté sur lui, voire foutu par terre et piétiné, ramassé, voire qui s’est ramassé, paysan. »

Dans Les pays Marie-Hélène Lafon avait déjà évoqué la confrontation des deux mondes : le monde paysan, lieu clos, et le monde de ses études qui ouvre sur d’autres possibles. Le sentiment de ne pas être toujours « à sa place » reste très prégnant.  

Le travail besogneux est au cœur du monde paysan mais aussi au cœur du monde du savoir : « Travailler, c’est à la fois se mettre à la torture et entrer dans l’énergie, son énergie ; le travail appelle le travail, l’engendre et le suscite ; ça remue, on se remue, on se prend en mains, on s’empoigne. »

Nous suivons le parcours des études, la passion pour la lecture, les débuts de l’écriture : « Il a fallu du temps, beaucoup de temps encore, et de savants détours, et des méandres tenaces avant d’oser un autre travail, contigu à celui de la lecture, le travail de l’écriture ; avant d’oser se mettre à l’établi des mots, de la phrase, du texte ; avant d’oser empoigner cette viande-là… »

Au fil des pages, Marie-Hélène Lafon nous offre une belle leçon d’écriture dans le plaisir des mots, de leur agencement, de leur force pour nous expliquer au plus profond de l’être, comment peut naître un texte, comment il se modèle, il se transforme pour prendre vie. L’écriture comme la lecture sont charnelles : « Écrire serait une affaire de corps, de corps à donner, pas donner son corps, quoique, mais donner corps à, incarner, donner chair. »

Les livres naissent aussi à partir d’affiches, de faits divers que Marie-Hélène Lafon utilisent avec modération.

Nous découvrons la grammaire, les verbes, la conjugaison, les adjectifs, la syntaxe, les silences, les blancs sur la page… sous un autre jour à travers le regard de Marie-Hélène Lafon qui nous révèle les secrets de ses différents chantiers qui ont abouti à des publications. Elle nous dévoile leur origine, leurs évolutions comme leurs influences : « En sous-texte comme on porte des sous-vêtements. Oser Flaubert en sous-texte. Un cœur simple en sous-texte dans Joseph. Félicité sous Joseph. Il avait eu, comme un autre, son histoire d’amour. L’air était chaud et bleu. »  

C’est un texte passionnant, merveilleusement littéraire pour parler de la création littéraire,  un texte charnel où le lien avec la sexualité est sous-jacent. La lecture et l’écriture sont désirs et plaisirs. Un régal pour les amateurs de littérature.

Brigitte Aubonnet 
(08/10/15)   



Retour
Sommaire
Lectures









Les Busclats

(Août 2015)
120 pages - 12 €






Lire sur notre site des articles concernant d'autres romans du même auteur :
Mo
Organes
Les derniers Indiens
L'annonce

Gordana
Les pays & Album
Joseph

et un entretien avec
Mercedes Deambrosis
et Marie-Hélène Lafon