Retour à l'accueil du site | ||||||||
Léo a vingt ans. Entre la cité Gagarine, Porte de Saint-Ouen, où il habite et l'imprimerie où il manie la presse et le massicot, il n'y a qu'une centaine de mètres. Dans le vacarme de l’atelier, toute la journée défilent devant lui des lettres qu'il n'identifie que vaguement à leur forme. Un handicap qui prend sa source dans son histoire familiale : une petite enfance dans un mobile home auprès de parents nomades, leur disparition lors de ses six ans, une grand-mère aimante mais analphabète qui prend le relais et l'a inconsciemment maintenu dans l'ignorance pour éviter qu'il ne la méprise... Tout cela lui a fait quitter l'école à treize ans pour un apprentissage sans savoir lire. Mais si le jeune homme a belle allure et attire inconsciemment le regard par son « érotisme intrinsèque de celui qui ignore qu’il est beau », avec ses boucles brunes, ses « deux pupilles vertes qui aimantent les filles, lesquelles s’imaginent des choses dont lui-même n’a pas idée », il fuit celles qui rêvent de toucher ce « prince vierge » et il dresse des murs autour de lui pour se protéger, avançant solitaire et tête baissée. C'est que Léo ne peut pas « lire un courrier, lire les pancartes à l'usine ce qui lui éviterait de passer sous un rouleur compresseur, […] faire ses courses sans acheter toujours la même chose en raison des prix sur les emballages […], lire le nom des stations de métro, lire le nom des rues… » et il en a honte. Léo n’est tranquille qu’en compagnie des morts, auxquels il parle, dans les cimetières. Tout va basculer le jour où, remplaçant un ouvrier à un poste qu'il ne connaît pas et faute d'avoir pu lire les précautions d'usage de la machine, Léo a un accident où il laisse deux doigts. Centré sur l'illettrisme de Léo, ses stratégies pour le cacher et son combat pour y remédier, le roman de Cécile Ladjali est un livre plein d'humanité et d’énergie sur les mots, l’école, l’estime de soi, et le langage. Si critique il y a, elle s'adresse à la société qui a permis cette exclusion et à ceux qui ont fermé les yeux voire humilié le jeune-homme et non à celui qui a été condamné à l'ignorance et la marginalité. Si le regard de l'auteur est pour Léo toujours respectueux et riche de son expérience d'enseignante en collège de banlieue, il sait néanmoins se faire acéré pour nous alerter sur les conséquences de l'inefficacité de notre système face à ces individus qu'il abandonne et rejette à sa marge. Un roman émouvant qui lève le voile sur un phénomène inquiétant qui statistiquement ne se résorbe pas, sur les obstacles qui s'accumulent pour ceux qui ont raté le train de l'apprentissage de la lecture dans leur quotidien mais aussi pour l'estime d'eux-mêmes et leur intégration dans la société, sur les obstacles qui se dressent devant eux quand ils tentent d'y remédier et de rattraper le temps perdu. Une belle et riche lecture. Dominique Baillon-Lalande (10/02/16) |
Sommaire Lectures Actes Sud (Janvier 2016) 224 pages - 19 € Babel (Janvier 2018) 224 pages - 7,80 €
Bio-bibliographie sur Wikipédia Découvrir un essai sur notre site : George Steiner & Cécile Ladjali Éloge de la transmission |
||||||