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Patrice JUIFF

Foreveur


Rémi, dix-sept-ans, suite à un accident dans sa dixième année, est un garçon particulier. Une partie de ses neurones « ont été cramés par la fièvre quand il était petit » et il est sujet à des « blancs » et des accès de violence soudains. Suite à ce drame, ses parents ont divorcé et la mère de Rémi l'a confié à une institution « pour gogols » où il est resté juste le temps de rencontrer Émilie, une « triso », dont il est tombé amoureux. Un refus de s'alimenter convaincra assez vite son père (décalé, abusant de l'alcool mais aimant) de le sortir de cet endroit affreux pour le prendre chez lui. Ils squattent, depuis que le père a été viré de son travail, dans un immeuble de banlieue promis à la démolition et vidé de ses habitants à l'exception d'un couple de marginaux toxicomanes dont ils sont assez proches.
Une vie dont Rémi se satisferait plutôt si sa mère ne refusait pas obstinément de le recevoir et s'il pouvait revoir Émilie.

Mais tout va basculer un matin quand Rémi retrouve sont père mort, asphyxié dans son vomi. Pour ne pas être renvoyé chez les fous, sachant que sa mère (et surtout ce « con de Franck » avec lequel elle vit maintenant) n'acceptera jamais de le reprendre, il se sauve de l'appartement après avoir appelé à l'aide Mamy, sa grand-mère maternelle qui a toujours gardé de bons rapports avec son père et lui. Celle-ci, pleine de ressources, lui trouve vite une planque chez son ami Jo, le jardinier de sa maison de retraite.

Mais le garçon n'est pas de tout repos : à l'issue de la crémation de son père il dérobe l'urne funéraire enterrée puis kidnappe Émilie de sortie pour le week-end chez ses parents.
Son projet : aller au bord de la mer pour disperser les cendres de son père comme il le désirait là où il s'était fabriqué ses plus beaux souvenirs et en profiter pour montrer la grande bleue à sa chérie qui en rêve sans l'avoir jamais vue.
La super Mamy, attendrie, complice, accepte, alors que l'alerte d'enlèvement diffuse le portrait de la jeune trisomique partout, de les accompagner pour un séjour d'une petite semaine.
Quelquefois la différence protège. « J'avais lu qu'à peu près cinquante mille trisos vivaient dans le pays [...] et vu que la majorité des gens étaient bien incapables de distinguer un triso d'un autre, du moins qu'ils s'en donnaient rarement la peine, on risquait d'être beaucoup plus à l'abri de leur curiosité que je ne le pensais. [...] Au bout du compte, tous les palais, toutes les richesses du monde ne valent pas la beauté du moindre millimètre carré de mon Émilie. [...] Et comme j'en avais marre d'avoir peur de toutes mes peurs, je les ai envoyées à la corbeille de mon ordinateur mentale et j'ai éteint ma lampe torche. Cette nuit-là, j'ai dormi comme une enclume, si tant est qu'une enclume puisse avoir sommeil, ce qui, entre nous soit dit, me paraît improbable ou, comme disait papy, serait de la dernière extravagance.  »
Une parenthèse de pur bonheur où le temps leur est compté car il faudra bien ensuite que mère-grand retourne à la maison de retraite, que la « fugueuse » mineure retourne chez ses parents, que Rémi, qui a appris que sa mère attendait un enfant de Franck et sait qu'elle craint trop ses réactions à son égard pour le reprendre, retourne à l'institution quelques mois jusqu'à sa majorité.

C'est alors que, sur la route du retour, suite à un accident qui les immobilise au milieu de nulle part, ils croisent Dan et Kathy.…
« Il y a deux catégorie d'amis. Ceux qu'on connaît depuis toujours et à qui on ne confierait pas son sandwich pour aller pisser et ceux qu'on croise le temps d'une bière au comptoir d'un PMU et à qui on peut livrer toute son âme sans risquer qu'ils la refourguent aux enchères aussitôt qu'on tourne le dos. »  

Le parti pris de l'auteur est de laisser le lecteur découvrir cet étrange road-movie d'une grand-mère et de deux handicapés à travers le regard, les mots, empreints parfois d'une naïveté et d’une fraîcheur qui font sourire, de Rémi dans le rôle du narrateur. 
Mais la candeur de Rémi qui a cette faculté de voir la beauté en toute chose, en chaque être humain, de s'émerveiller aussi souvent qu'il est en colère ou se laisse paralyser par la peur, va se conjuguer avec une toute nouvelle maturité acquise au fil des scènes, grâce à l'accompagnement bienveillant de la vieille femme et la présence éblouissante de celle qu'il protège et avec laquelle il veut partager sa vie.
Le bonheur et l'amour ce peut être aussi pour les handicapés. La façon dont Rémy regarde et aime sa chérie, la vivacité et la capacité au bonheur de cette dernière sont émouvantes et replace chacun dans son rôle d'être humain et non de cas clinique ou d'objet.

La parole décousue du narrateur parfois en bisbille avec les mots (même s'il est terriblement attiré par eux et les notes scrupuleusement dans son carnet), les nombreux dialogues, la personnalité souvent atypique des personnages qui ont tout pour nous surprendre au coin du bois, tout confère à ce roman une vivacité, une épaisseur et un charme décalé qui fait mouche. C'est cela, ces moments de beauté, de joie et d'émotion qu'en toute simplicité, respectueusement, l'auteur parvient à partager avec nous. Des moments rares tout en sensibilité, où l'humour voile avec pudeur les sentiments.

Dans ce roman, le lecteur croisera aussi les chansons de Johnny Cash dont le père tant aimé était fan, les aventures de Tom Sawyer que depuis ses dix ans Rémi traîne partout avec lui et ne se lasse pas de lire et relire, et surtout toute une galerie de personnages aussi truculents et chaleureux que les trois protagonistes principaux. 

Patrice Juiff nous offre avec ce roman  lumineux une ode à la tolérance, à la confiance, au respect et à l'amour sous toutes ses formes, un récit délibérément positif (ce qui est très nouveau chez un auteur qui s'était attaché dans ses romans précédents à des faits divers très noirs), ni angélique ni niais, qui réchauffe le cœur et donne envie de croire, tout simplement, en la beauté du monde et la capacité de bonté des hommes.
Un roman d'initiation à faire découvrir aux adolescents.
Un pied de nez magistral à la désespérance à lire absolument à tout âge, pour se faire du bien.

Dominique Baillon-Lalande 
(14/06/16)    



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Le Rocher

(Mai 2016)
240 pages - 18,90 €










Patrice Juiff,
né en 1964, comédien de télévision et de cinéma, romancier et nouvelliste,
a reçu le Grand prix
de la Nouvelle de la SGDL
pour La Taille d’un ange
(Albin Michel, 2008).










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