Retour à l'accueil du site





Philippe GRIMBERT

Rudik, l'autre Noureev


Comme l’indique le titre, ce n’est pas le Noureev connu de tous que met en scène ce roman, le danseur éblouissant, le transfuge de l’URSS devenu directeur du ballet de l’Opéra de Paris, non, c’est la face cachée de l’homme qui est mise en lumière ici, l’homme torturé, passionné, violent, inaccessible, pétri de regrets et de souffrances.

Le narrateur est psychanalyste. Christian Feller, issu d’un milieu modeste, est devenu Tristan Feller, le confident du Tout-Paris. « Célèbres ou non, je me conformais avec tous aux mêmes règles : ne jamais les voir en dehors de mon cabinet, refuser tout cadeau et, lorsqu'ils me le proposaient, décliner toute invitation à l'un de leurs spectacles. [...] je pouvais me montrer proche, sans que jamais notre relation dépasse le cadre strict de la séance. De ce point de vue, je pensais être un professionnel exemplaire. » Il ne se doutait pas qu’en décembre 87, ces belles résolutions allaient être mises à rude épreuve. Quand on l’appelle pour lui demander un rendez-vous pour Rudolf Noureev, il ne sait pas encore qu’il va s’engager dans une relation très particulière, avec un homme hors du commun, et cette fascination progressive du thérapeute pour son patient est un des moteurs du roman. Il nous permet de comprendre quelle aura entourait Noureev et quelle emprise il pouvait exercer sur tous ceux qui l’approchaient.

Les débuts sont difficiles. Il faut que la star accepte de respecter l’horaire des séances et de les régler en espèces, des détails dont il n’est plus habitué à tenir compte. Ses premiers mots sont en russe, au milieu de beaucoup de silence.
Mais peu à peu il va évoquer sa mère qu’il n’a été autorisé à revoir qu’une fois, alors qu’elle était mourante. Son père avec qui les relations ont été compliquées et à qui il doit la cicatrice qui orne sa lèvre supérieure. Son célèbre saut vers la liberté lorsqu’à la fin de la tournée en France en 1961, dans le hall de l’aéroport du Bourget, il a franchi d’un bond la haie que formaient les gardes du KGB pour se réfugier auprès des policiers français et signer sa demande d’asile. Trop beau pour être vrai ? Le psychanalyste va aider le danseur à faire le tri entre vérité et réalité, retrouver l’homme au milieu de la légende qui s’est construite autour de lui. Le sida diagnostiqué trois ans plus tôt, contre lequel il se bat au quotidien et qui l’emportera en 1993...
La relation avec Feller permet à Noureev d’aborder tous les sujets qui le préoccupent, qui l’ont construit, qui l’ont comblé ou qui le désespèrent.

Feller s’efforce de rester dans son rôle mais avec de plus de difficultés pour conserver sa distance professionnelle. L’aide d’Alain, un confrère dont il a fait sa "conscience morale", est précieuse et lui permet de garder un regard lucide sur l’emprise grandissante que le danseur exerce sur lui et sur les transgressions qu’il n’aurait jamais pensé être amené à accepter.

Un roman passionnant qui présente un Noureev profondément humain derrière sa carapace d’autorité et d’intransigeance et qui détaille de chapitre en chapitre le processus de fascination qui nimbait ses relations avec les autres. Le sixième roman du psychanalyste Philippe Grimbert qui a obtenu le Goncourt des Lycéens et le Grand Prix des lectrices de Elle pour Un secret, adapté au cinéma par Claude Miller en 2007 (3 prix et 16 nominations).

Serge Cabrol 
(11/08/15)    



Retour
Sommaire
Lectures









Éditions Plon

(Janvier 2015)
180 pages – 16,90 €








Philippe Grimbert,
né en 1948, psychanalyste, est romancier et essayiste.


Bio-bibliographie
sur Wikipédia