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Michèle FORBES

Phalène fantôme


Katherine habite Belfast en 1969, une période où la ville s’embrase quotidiennement au rythme des attentats, des cocktails Molotov ou des bus qui brûlent. Mais ce n’est pas ce chaos que l’auteur a placé au cœur du roman, c’est plutôt celui qui agite l’esprit de Katherine malgré l’apparente tranquillité de son existence.
Mariée avec George, mère de quatre enfants, elle mène une vie ordinaire de femme au foyer en organisant son temps autour des tâches ménagères mais on perçoit vite sous la surface paisible les noirs remous qui la bouleversent depuis vingt ans.

Dès le deuxième chapitre, nous remontons avec elle en 1949, et le roman alterne ainsi le présent et le passé.
En août 1949, elle était déjà fiancée à George mais menait encore sa vie de jeune fille indépendante. Elle travaillait au service comptabilité d’une entreprise et, le soir, participait aux répétitions d’une troupe de comédiens amateurs. Ils devaient donner le mois suivant quatre représentations de Carmen dans une salle paroissiale. Elle tenait le rôle titre et sa voix était appréciée par ceux qui avaient déjà eu le privilège de l’entendre. Les costumes étaient confectionnés par un atelier de tailleurs qui occupait deux étages du même immeuble mais les essayages devaient se dérouler en dehors des heures d’ouverture de l’entreprise.
Après les répétitions, Katherine passait donc à l’atelier de couture et c’est là qu’elle a rencontré Tom. « Tout chez lui l'excitait. L'angle puissant de sa mâchoire. La largeur de sa carrure. La blancheur de sa peau, la blondeur de ses cheveux, la douceur de ses yeux quand il souriait. L'immensité de ses paumes quand il la touchait. Les poils de son torse, qu'elle n'aurait pas dû voir mais qui dépassaient de son col de chemise car il avait un peu desserré sa cravate. Tout chez lui... » Et ce qui n’aurait pas dû arriver arriva... Tandis que le fiancé préparait le mariage...

Comment se termina cette liaison ? Pourquoi a-t-elle tout de même épousé George ? En ont-ils parlé ? Ce sont les réponses à toutes ces questions qui sont distillées au rythme de l’alternance des chapitres où Katherine passe d’une époque à l’autre, de la folle passion de ses vingt ans au calme bonheur d’aujourd’hui avec cette interrogation en permanence : où en sont-ils de leur amour, George et elle ?

George est ingénieur mais aussi pompier volontaire et les émeutes en ville le mobilisent souvent. De jour comme de nuit, il guette la sonnerie du téléphone qui va à nouveau le jeter dans le brasier.

Katherine et George ont quatre enfants. L’aînée, Maureen, est à l’âge des premiers émois amoureux. Elle a jeté son dévolu sur Richard Marr, le voisin d’en face, qui ne semble pas vraiment s’en apercevoir. Maureen se demande comment on sait quand on est amoureux. Elle est aussi freinée dans ses élans par le poids de la religion. Comme le répète sa sœur Elizabeth : « Les bonnes sœurs ont dit que si t’embrasses quelqu’un, alors tu dois forcément te marier avec, parce que personne d’autre voudra de toi… » La troisième fille, Elsa, vit une relation amicale compliquée avec Isabel, imbue de sa personne et méprisante, issue d’une famille protestante, qui ne manque pas une occasion de rappeler que la famille d’Elsa est la seule famille catholique de la rue. Le quatrième enfant est un garçon, Stephen, encore presque un bébé.

En alternance avec les souvenirs de la liaison de Katherine vingt ans plus tôt, c’est la vie de cette famille que nous suivons au fil du roman, famille catholique dans un quartier protestant, inquiète par l’escalade de la violence qui mobilise George de plus en plus souvent la nuit pour aller éteindre les incendies qui enflamment la ville.

Les personnages attachants, les interrogations de Katherine, l’atmosphère de Belfast au début du conflit nord-irlandais font de ce roman une chronique riche en passions – amoureuse, religieuse, politique – qui menacent en permanence l’équilibre et la sérénité dans lesquels les parents essaient d’élever leurs enfants. On reste accroché au texte jusqu’aux derniers chapitres qui apportent les réponses aux questions posées au fil des pages. Un premier roman très abouti. Espérons que d’autres suivront…

Serge Cabrol 
(24/03/16)    



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La Table Ronde
Quai Voltaire

(Janvier 2016)
288 pages - 21 €


Traduit de l'anglais
(Irlande)
par
Anouk Neuhoff












Michèle Forbes,
née à Belfast est une actrice de théâtre, de ciéma et de télévision. Phalène fantôme
est son premier roman.