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Bruno DENIEL-LAURENT


L’idiot du Palais



Paul Valéry a décrété qu’il se refusait d’écrire dans un roman « La marquise sortit à cinq heures » genre de phrase typique des romans de Balzac.  Bruno Deniel-Laurent ose commencer son premier roman par la phrase « La Princesse sortit à cinq heures » Clins d’yeux et à Balzac et à Paul Valéry. On peut effectivement voir dans L'idiot du Palais  la description précise d’un univers clos où l’on assiste à la grandeur et à la décadence d’un des personnages principaux, ici petit Rastignac de banlieue qui aura plutôt  le triste destin d’un Lucien de Rubempré mais tout cela dans un style resserré, clinique, qui relèverait plus des critères d’écriture de Valéry : description sans fioriture, incisive,  qui à la longue donne la chair de poule comme la mécanique absurde qu’elle décrit : l’ordre qui régit ce Palais tout entier soumis aux  caprices de ses obscènes propriétaires.

Dušan (prononcé Douchanne) à vingt ans ne s’était pas montré à la hauteur des rêves carriéristes de son père. Après des études moins boudées que bâclées, lui qui ignore presque ses origines serbes et qui n’a pas vraiment la carrure, va être embauché  par un vague cousin,  à la sécurité, dans les méandres d’un palais haussmannien appartenant à un Prince, magnat du Pétrole et pervers richissime. Comme il n’a aucune ambition, qu’il est discret, indifférent et parle un peu anglais, il va grimper, en même temps que les étages, les échelons de la hiérarchie des esclaves du Palais : l’Afrique noire dans les buanderies, les Indes musulmanes dans les cuisines, les Soudanais au service, les Maghrébines au ménage, les Philippines dans l’ombre du corps princier, etc. Quant aux postes de vigiles et de gardes du corps, ce sont les Serbes qui les occupent avec largesse.

Mais comme l’a constaté celui qui l’a embauché, Dušan est sérieux, mais la tripe sensible.  C’est cette sensiblerie qui va enfin le déciller et lui rendre son humanité, le faire sortir de son rôle sans conscience dans la machinerie du Palais. Où l’on retrouve les antagonismes chers à Balzac : perdre sa vie ou se gagner une âme. Paradoxalement, alors que libre, il obéissait comme un robot, devenu vraiment esclave,  il sait qu’il  collabore à un ordre injuste. La bassesse la plus épouvantable régnant en son sommet, le mensonge au service des plus misérables turpitudes. Le Prince : un veau tirant son pouvoir d’une montagne d’or démultipliée en comptes numérotés. Inversion réelle : davantage de hardiesse chez une lingère ivoirienne que dans la martialité hystérique d’Arnold ; plus d’élégance dans le fier visage d’Abou Ahmed que chez les petits princes de la famille, caïds à la poitrine flasque ; plus de piété sincère dans les sous-sols invisibles qu’en ses étages supérieurs.

Bruno Deniel-Laurent réussit le tour de force d’écrire un roman balzacien dépouillé  et de faire de ce Palais une terrible mais lucide  parabole de notre monde où même la pitié est le contre-feu que la mauvaise conscience allume […] Et derrière ce masque d’apparente compassion, les affaires continuent, les corps se vendent, les âmes s’achètent.  C’est une démonstration implacable : il y a  vraiment quelque chose de pourri dans notre royaume.

Sylvie Lansade 
(01/12/14)    



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La Table Ronde

(Août 2014)
144 pages - 16 €







Bruno Deniel-Laurent,
né en 1972, a déjà publié deux essais et réalisé des films documentaires.
L'idiot du Palais
est son premier roman.



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