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Mia COUTO

Histoires rêvérées



La toute première nouvelle raconte l’histoire d’un gamin que son grand-père mène chaque jour en barque pour un étrange rituel avec les ombres afin de lui faire percevoir cet invisible qui les entoure. (Dans les eaux du temps)

La deuxième évoque l'histoire d'une petite fille noire aux yeux bleus (alliance hors du commun qui lui valut le nom de « Nouveauté Châtiment ») qui s'enracine en tant que fleur dans la montagne pour rejoindre ce père enseveli par les bombes qu'elle ne peut se résoudre à abandonner.  (Les fleurs de Nouveauté)

À un aveugle qui s’avère voir parfois mieux que les voyants dans Quatre-vingt treize répond en écho un homme devenu sourd suite à une explosion qui facétieusement parvient à berner tout un village dans Le prêtre sourd.

« Je suis assis près de la fenêtre à regarder la pluie qui tombe depuis trois jours. Quelle saudade le tintillement mouillé de la bruine produisait en moi. La terre parfumigeante ressemble à une femme à l’aube d’une caresse. Depuis combien d’année n’avait-il pas plu ainsi ? À force de durer, la sécheresse avait rendu notre misère muette. Le ciel regardait le décès successif de la terre et, en miroir, se voyait mourir. On eaubservait : pourrons-nous encore recommencer, la joie a-t-elle encore une place ? » (Orthographe fantaisiste d'origine), lit-on dans les premières lignes de Pluie : la rêvérée. La pluie est d'ailleurs souvent présente dans le recueil.

Dans les autres, un vieillard désobéit aux ordres du représentant de la Nation, refusant de quitter sa maison sans emporter les arbres qui entourent sa maison (La pipe de Felizbento), un enfant innocent est interpellé par un soldat pour ne pas avoir salué le drapeau indiquant le bâtiment municipal (Le couchant du drapeau), une noix de coco se met à pleurer et saigner (Pleurs de cocotier), un hippopotame, dans lequel certains voient la réincarnation d'un mort, détruit avec fureur un centre d’alphabétisation (Sur le fleuve, au-delà de la boucle), deux clowns sèment la pagaille et les cadavres sur leur chemin (La guerre des clowns)… Avec dix-sept autres histoires mettant en scène des cocus, des ivrognes, des figures de femme sublimes et inspirées, divers vieux ou gamins, elles font toutes du rêve un refuge ultime, voire un espace de résistance, face à l'absurdité de la guerre.

« Toute histoire se veut feindre vérité. Mais le mot est une volute trop légère pour s'attacher à la réalité présente. Toute vérité brûle d'être histoire. Les faits rêvent d'être mot, parfum fuyant le monde. On verra dans ce cas que seule dans le mensonge de l'enchantement la vérité se marie à l'histoire », comme l'écrit Mia Couto au début de La pipe de Felizbento.

Ces nouvelles écrites de 1977 à 1992, au lendemain de la guerre d'indépendance du Mozambique et des 15 ans de guerre civile qui s'ensuivirent, s'inscrivent majoritairement dans l'intemporalité et n'abordent pas la guerre directement. Si celle-ci est bien présente de façon implicite, c'est subtilement incarnée par les aventures des différents « héros » avec des portraits de femmes libres, ensorcelantes aux liens occultes avec le monde surnaturel, d'enfants nimbés d'innocence, d'hommes de bonne volonté souvent plus abîmés voire perdus, qui  à travers leur vécu de cette période évoquent plus intimement la filiation et la transmission, l'amour, leurs croyances et coutumes, leur dialogue avec leur terre et les esprits. C'est en pénétrant les pensées et les souvenirs des personnages, avec cette part du divin et d'universel qui les habite, à travers le filtre de l'imaginaire, que le lecteur découvre  la société mozambicaine au cœur de la tourmente.
Il s'ensuit alors un glissement du sujet de la violence des faits à la population d'une richesse humaine infinie qui la subit, de la guerre à la reconstruction de « ce territoire dans lequel tous les hommes sont égaux, ainsi : feignant d’être là, rêvant de partir, inventant de revenir »  comme l'explique l’auteur dans son introduction.  

Dans chacun des vingt-six récits de quelques pages à peine ici présentés, tous plus proches du conte fantastique que de la nouvelle, le cadre réaliste initial s'efface progressivement pour faire place aux légendes, au rêve, au délire fantaisiste de l'auteur, avec un doux mélange de tragique et d'humour. Et dans cet univers à la frontière du rêve et de la réalité, l’imagination et la poésie deviennent les clefs uniques de la survie, pansent les blessures et permettent de ré-enchanter le présent pour dessiner un avenir commun.

Pour ce faire, Mia Couto a créé une langue singulière, musicale, colorée et imagée, dotée d'une fausse oralité faite de proverbes populaires, de jeux de mots, de néologismes, d'archaïsmes, de mots valises ou de mots composés inédits qui caractérise son style de livre en livre. J'ai été également sensible à l'épaisseur que l'auteur parvient à donner, face à la luxuriance et au foisonnement lexical et syntaxique de l'ensemble, au silence.

Saluons au passage la superbe traduction d'Élisabeth Monteiro Rodrigues qui, comme elle l'a fait quand elle a transposé le titre original « abensonhadas », contraction de abençoadas (bénies) et sonhadas (rêvées), en « rêvérées » (à la fois rêvées, avérées, révérées), a su habiter ces textes de façon personnelle et être elle-même assez inventive pour nous en restituer toute la richesse.

Un livre hybride entre conte, poésie et récit onirique à lire avec lenteur et attention pour mieux en pénétrer les mystères et en goûter pleinement la saveur. Surprenant et fascinant !

Dominique Baillon-Lalande 
(22/11/16)    



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Lectures








Chandeigne

(Septembre 2016)
180 pages - 17 €


Traduit du portugais
(Mozambique)
par
Elisabeth
Monteiro Rodrigues











Mia Couto,
né au Mozambique en 1955, journaliste et écrivain, est aussi biologiste et enseigne l'écologie à l'université de Maputo. Ses nombreux livres (romans, poésie, contes, chroniques) lui ont valu le Prix Camões
et sont traduits dans une vingtaine de pays.





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