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Camille LAURENS


Celle que vous croyez


Une femme de quarante-huit ans, Claire Millecam en proie à la jalousie – son amant Jo, la trompe – décide de s’inventer un profil Facebook afin de le surveiller via internet. Ainsi, de Maître de conférence en littérature comparée à l’Université, divorcée avec enfants, elle devient cette jeune femme de vingt-quatre ans, travaillant « dans l’évènementiel » brune et célibataire : Claire Antunes.

Le roman commence par le premier entretien de Claire avec son psychiatre, Marc. Elle va lui exposer, à sa manière entrecoupée de remarques à l’humour à peine voilé, le récit de son aventure amoureuse avec cet homme, Chris. Aventure qui ne l’a pas laissée indemne puisqu’elle se trouve à présent dans une institution psychiatrique.
Sans se priver de faire les questions et les réponses : […] « Ou bien préférez-vous que je parle de mon enfance, de mes parents, de ma famille – tout le bataclan ? »
« Ce n’était pas du tout Chris que je visais au début. Je ne le connaissais pas, il ne m’intéressait pas. Je l’ai demandé pour ami sur Facebook uniquement pour suivre l’actualité de Jo – de Joël […] Chris avait des centaines d’amis, il surfait beaucoup sur Facebook, son pseudo était KissChriss, il engrangeait des like avec une aisance qui faisait l’admiration de Jo. Vous êtes sur Facebook, vous, Marc ? Vous comprenez ce que je raconte ? Vous n’avez pas besoin que je vous traduise ? »

Elle raconte, donc. Et au fil de ses entretiens elle lui fera part de ses observations, ou de ses analyses, à propos du désir, de ses préoccupations, de ce qu’elle croyait chercher ou trouver dans cette aventure épistolaire, commencée par une sorte de défi pour devenir cet amour-passion. De là à tenter d’expliquer comment de «vrais» désirs ont pu se conjuguer, alors qu’ils s’appuyaient sur des mensonges, comment des sentiments forts se sont maintenus et même exaltés malgré les épisodes de dérobade obligés… Ou comment, l’avatar de Claire, qui a joué le jeu, et adopté le ton voulu, pouvait se confronter à la réalité…
Et ce Chris, qui est-il ? Seulement ce qu’il dit être : jeune photographe de talent, trentenaire hébergé par Jo ?

Dans l’institution où elle est soignée, Claire participe à un atelier d’écriture animé par Camille(!) écrivaine, et va écrire une version élaborée de son aventure : « Les fausses confidences » roman
La fiction, dans la fiction…

Mais là nous commençons à nous demander où Camille Laurens veut nous emmener….
Car nous sommes embarqués dans une sorte de labyrinthe à plusieurs entrées… ou sorties ? La construction complexe du roman, d’une habilité presque perverse, nous accroche pour ne plus nous lâcher. Et à la fin nous pourrions même nous sentir invités à recommencer illico notre lecture parce que… nous avons peut-être «manqué» quelque chose ! Un suspense digne des meilleurs thrillers psychologiques. Et s’il ne s’agissait que de cela, la cause serait déjà entendue, mais pour Camille Laurens, cela ne suffit pas. Car dans ce roman à l’écriture bien « pesée », l’auteure nous fait part de ses réflexions sur les clichés des uns, les lâchetés ou les représentations erronées des autres. Et en particulier lorsqu’il s’agit de ces femmes à la cinquantaine approchante, dont le désir est ignoré ou bafoué et son obsolescence programmée…

Dans la seconde partie du roman, Claire nous livre surtout ses pensées sur le désir du désir, le sexe et son rapport à l’écriture, à la fiction… Sur l’acte d’écrire, pour en prouver, si besoin est, le rôle déterminant, tout en nous faisant frémir à l’idée de son absence momentanément possible.
« Je ne désire pas tant la jouissance que je ne jouis du désir. L’amour n’est pas le sujet de mes livres, c’est leur source. Ce n’est pas une histoire que je cherche, c’est le sentiment de vivre, dont écrire sera la défaite, à la fin, et jouir la chute. »
Une autre entrée… Notre habile écrivaine a encore quelques atouts dans son jeu.

C’est donc bien d’écriture qu’il s’agit, et dans tous ses aspects, que les mots soient véhiculés par un Facebook complaisant ou le résultat du travail finement élaboré de l’écrivain.
Et puis : « On écrit pour garder la preuve, c’est tout. Les livres sont faits de ces souvenirs qui s’entassent comme les feuilles d’arbre deviennent la terre. Des pages d’humus. »

Cette fois encore nous lisons Camille Laurens avec délectation. Plaisir reconnu. Mais dans ce dernier roman une question pourrait bien s’insinuer…
Est-ce que ce livre est bien « celui que nous croyons avoir lu ? »

Anne-Marie Boisson 
(29/03/16)    



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Sommaire
Lectures









Gallimard

(Janvier 2016)
192 pages - 17,50 €




Folio

(Mai 2017)
224 pages - 6,60 €










Camille Laurens,
prix Femina et prix Renaudot des lycéens pour Dans ces bras-là, est membre du jury du prix Femina. Ce roman est son dix-septième livre.

Bio-bibliographie
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