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Marguerite BOURDET

Sale cafard


"L'aveu que je vais faire me coûte beaucoup. Je sais que je devrais en avoir honte. Et pourtant, il faut que je l'écrive : l'été 43 a été le plus beau de ma vie."

Jacques, devenu professeur de littérature après la guerre, nous raconte ces années d'occupation qu'il a vécues, adolescent, comme une parenthèse enchantée brutalement et amèrement refermée.

Années enchantées car enfermées dans une bulle d'enfance : le temps des tartines, des escapades, libres, dans la campagne ensoleillée, des découvertes : la littérature, l'amitié, l'amour. Les trois enfants de la famille et un garçon de l'âge de Jacques, en pension chez eux, ne vont plus à l'école. Les grands : Madeleine, Jacques et son ami Georges parce qu'il faudrait pour suivre ses études retourner à Marseille qu'on a fui à cause de la guerre et la petite : Mireille, parce que sa mère a peur qu'elle attrape des poux à l'école communale située juste en face de la maison où on a trouvé refuge dans ce petit village de Provence. De plus, le père ne veut pas qu'elle braille Maréchal nous voilà comme les écoliers dont il subit le chant discordant tous les matins.

Madeleine "n'est pas comme cette fofolle de Mireille", aussi sage que belle, elle se plaît aux occupations ménagères et seconde sa mère alors que Mireille, son frère et Georges dévorent des livres à longueur de temps, se les échangent, les commentent et rêvent d'écrire. Comme ces trois ados, le lecteur se laisse dorloter dans ce doux cocon aux effluves de confitures et en oublierait le terrible contexte.

De paisible, malgré les restrictions et les mauvaises nouvelles qui ne les atteignent pas, la vie des jeunes gens va devenir vraiment exaltante à l'arrivée de deux nouvelles familles de "réfugiés" puis, basculer dans le drame.

D'abord la famille du beau Charly, fils d'un personnage aussi louche que richissime. "Non, personne ne pouvait résister à son sourire. Il souriait sans que s'altère le dessin parfait de sa bouche. La blancheur de ses dents accrochait des éclats de lumière. Il souriait avec ses yeux couleur de mousse, ni verts, ni bruns, qui se posaient languissamment sur les gens et les choses comme pour les caresser… C'était un cadeau, le sourire de Charly."

Ensuite, fuyant sous un faux nom les persécutions juives, la famille de Chantal. Qui ne succomberait aux charmes de cette magnifique jeune fille, passionnée de littérature, et voulant, elle aussi, devenir écrivain ?

Le tableau est dressé, la tragédie peut commencer.

"Georges et moi, caparaçonnés d'indifférence, nous aurions pu poursuivre nos chimères jusqu'au terme des hostilités et peut-être même au-delà si, à l'improviste, ce qu'on appelle hasard, ou destin, ou volonté de Dieu, n'était venu bouleverser nos jeunes existences. C'était le 15 février 1943."

Alors le lumineux tableau prend des teintes bien sombres et c'est surtout terriblement pesantes qu'elles sont devenues, ces années-là, pour Jacques. Soixante ans après, il se reproche encore son insouciante indifférence, le rôle de grand-frère qu'il n'a pas su tenir mais il porte surtout le terrible remords de n'avoir pas su affronter la vérité qu'il pressentait. Alors qu'il retrouve Chantal après la guerre, encore sidéré par l'injustice de l'accusation qu'il a subie, il la voit comme un fantôme : celui de sa mauvaise conscience, de la nôtre, celle de toutes nos lâchetés quotidiennes ? Il est incapable de lui dire son amour comme il a été incapable de la défendre contre les cafards : les délateurs qui jettent en enfer ceux qu'ils dénoncent. Il est incapable de la protéger du mal de vivre dans un monde qui, sous de charmeuses apparences, est souvent si laid.

Prenons garde à la douceur des choses et sachons parfois nous dépêtrer des liens familiaux, sociaux, qui font de nous des lâches, est peut-être le message de ce roman très classique mais au dénouement inattendu où, dans la fiction, paraît le livre Sale Cafard dont Mireille dit : "Il est insoutenable, ce livre… une longue méditation sur la délation, douloureuse, poignante, comme l'examen de conscience de quelqu'un qui va mourir."

Sylvie Lansade 
(26/01/13)    



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Lectures








L'Harmattan

(Septembre 2012)
184 pages – 18 €










Marguerite Bourdet,
agrégée d'italien, vit dans le sud de la France. Avant Sale cafard, elle a déjà publié deux romans et trois recueils de nouvelles.