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Sébastien BONNEMASON-RICHARD

Je n'ai de goût qu'aux pleurs
que tu me vois répandre


Sagan, entre autres, l'a déjà fait mais on ne s'en lasse pas. Placarder la poésie comme une revendication, en titre sur la couverture d'un roman, c'est toujours roboratif. Ici c'est un alexandrin de Racine que l'auteur appose sur la couverture de son premier roman. Le délice de ruminer un beau vers ! Est-ce un manifeste ? Je l'ai ressenti comme ça. Car si le narrateur se repaît de sa douleur ce n'est pas pour se répandre, c'est pour mieux affûter ses armes ! De tueur et d'écrivain ! Le narrateur ne tue pas que son amour, il tue aussi le romanesque pour n'en laisser que l'enveloppe et son style.

"Je les sculpterai moi-même, mes lignes, à ma façon. Des lignes ou des motifs. Et là où certains verront des marques de scarification, des symboles païens, je répondrai que c'est faux, que ce n'est qu'une légende pour impressionner les enfants, manipuler les petites gens. Je veux avoir le droit d'écrire mon histoire, simple, sans histoires, sans frustration, sans peine."

Dans ce palais des glaces, les citations faisant office de miroirs, la narration, est aussi simple, dépouillée que le parcours qui permet de retrouver l'aimée et la sortie. La narration est comme une flèche : flèche de Cupidon qui se transforme en balle, mortelle ! On arrive très vite à sortir du labyrinthe si on ne suit que la flèche ! Mais voilà, il y a les citations : miroirs de ce qu'on lit, fausses pistes, tracés annexes, "distractions" au sens Pascalien, on n'est plus dans ce qu'on lit mais détourné, ramené, trompé, balloté. Alors qu'on a l'impression de suivre le fil romanesque et d'avancer vers la sortie très vite, la fin de l'histoire, on se perd dans ce dédale où Lorand Gaspar, Jaccottet, Nabokov, Rimbaud et quelques autres nous convient toutes les deux pages, à sonder l'écriture. La narration est piégée et renvoie sans cesse à sa fabrication. Forcément le foisonnement des textes invités entre en résonnance avec le dépouillement de ce texte glacé, acéré, celui d'un maniaque, qui ne voudrait laisser de lui "qu'une simple trace blanche tatouée sur un gris aux reflets bleus." Une ligne d'écriture sans aucun doute.

Sylvie Lansade 
(18/01/13)    



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Lectures









Alma Éditeur

(Janvier 2013)
124 pages – 14 €




Sébastien
Bonnemason-Richard
,
né en 1977, est professeur de lettres au lycée français de Phnom Penh. Il a publié deux livres aux éditions Manuscrit, Mémento en 2001 et Manon en 2003.