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Michel BERNARD


Deux remords de Claude Monet



Un roman en trois parties et trois prénoms : Frédéric, Camille, Claude.
Qui commence par cet épisode bouleversant où Gaston Bazille, traverse une France meurtrie pour aller chercher son fils, blessé. Mais il va ramener sa dépouille auprès des siens, à Montpellier. Frédéric Bazille vient de mourir, à l’âge de vingt-neuf ans, au cours de la guerre de 1870.

Les premières pages de ce roman nous touchent par leur ton simple et sensible, et par la suite, Michel Bernard continuera de nous émouvoir, de nous impressionner par le choix qu’il fait des détails, et par ses mots délicats à propos des évènements relatés, des sentiments évoqués. Dès le début nous sentons la proximité de l’auteur avec ses personnages, avec ces artistes, mais il va également nous parler d’une époque, d’un milieu, et nous impliquer ainsi tout au long de notre lecture.

Dans le deuxième chapitre, intitulé Camille, l’auteur revient sur ces années où Claude Monet rencontra Frédéric Bazille qui, bien que venu à Paris pour terminer des études de médecine, préférait aller peindre dans un atelier. « Ils avaient sympathisé au fil des semaines, lui, Bazille, Renoir et Sisley. Leur groupe s’était formé naturellement, il n’aurait su dire comment. » Et lorsque le jeune homme revenait dans sa famille à Montpellier pour passer les vacances : « Frédéric était heureux de retrouver le pays natal, la sèche odeur du thym, le parfum de la lavande et l’amertume exaltée du buis, l’assourdissant cisaillement des cigales. Il évaluait le gris poussière et le noir des plantes grandies dans les pics du roc éblouissant, le bleu presque blanc du ciel du matin, filé des reflets verts de la mer proche, et en dessous, dans l’ordre que leur avait donné son père, les longs traits de la vigne. »

Nous saurons comment Claude Monet s’éprend de son modèle Camille Doncieux, celle qui deviendra sa femme et la mère de ses enfants. Comment leur amour s’épanouira malgré les difficultés et les soucis financiers alors fréquents : « Deux ou trois toiles vendues, une rentrée d’argent et c’était quelques jours de joie qu’ils partageaient dans une auberge à la campagne, encore aux portes de Paris. Dix minutes de voyage, le temps que la chaudière de la machine s’échauffe et le gris se délayait dans les transparences d’un ciel propre. Le vert et le bleu filaient aux vitres qui grelottaient gaiment dans leurs cadres de bois. »
À la fin de la guerre, le couple revient d’Angleterre : « Les Parisiens avaient mangé les animaux du Jardin des Plantes, ils s’étaient mal chauffés avec les arbres des squares et des boulevards. » Alors Monet repart avec sa famille, fuyant un Paris défiguré : « Rien de ce qu’il aimait n’avait été épargné. »

Dans tout le roman, c’est bien sûr de la peinture de Monet dont il est question, de cette passion continue, de son désir inextinguible de peindre : « La plaine bleuie éclairait le ciel, cuivrait le ventre des nuages ». Et dans ce chapitre, le portrait que l’auteur nous fait de Camille, semble venir du regard du peintre lui-même. Admiratif, précis : « Ses gestes cherchaient moins l’efficacité qu’un rapport harmonieux  aux choses Elle était vêtue avec élégance et l’on se disait que cette femme de peintre avait appris à son mari l’art des couleurs et des formes. Son intuition du monde, Monet, sur bien des points, la devait à Camille. » 
Mais Camille meurt. Un douloureux moment où le peintre trouvera la force de peindre sa femme sur son lit de mort.

Les années passent et dans la vie de Claude Monet, les évènements, les choix, les maisons, les jardins, et bien sûr ses tableaux. Mais tout cela nous arrive grâce à ce conteur particulièrement sensible, et nous sommes convaincus qu’il livre ce que nous avons besoin de savoir, ce qu’il faut comprendre, ce qui est important.
À la fin de sa vie, Monet devenu riche, est resté fidèle à tous ses amis, qu’il peut aider lorsqu’ils en ont besoin. Et même aux amis du passé : « Le peintre avait usé de toute son influence, devenue considérable, pour que le rétrospective Bazille puisse être organisée dans les meilleures conditions […] L’État avait acheté La réunion de famille pour que l’on se souvienne en France que le jeune homme qui était tombé pour elle devant le mur du cimetière de Beaune-la-Rolande, dont le sang avait fait fondre un peu de neige sur la plaine  était un grand peintre. »
L’auteur des Nymphéas chérira aussi et toujours un tableau de sa jeunesse que Bazille lui avait alors acheté : Femmes au jardin.

Michel Bernard arrive ainsi à nous faire partager la vie d’un peintre et de son entourage tout en nous amenant, d’une manière originale et documentée, à découvrir l’homme. Il lui suffit alors de quelques mots, juste posés, pour introduire une analyse, une perspective.
Car Michel Bernard est un écrivain qui « peint » ses phrases pour nous faire non seulement voir les couleurs ou les harmonies d’une campagne sous la neige : « ses étendues pâles, les ombres paradoxales qu’elle ajoutait aux choses »  mais qui sait trouver aussi la bonne lumière pour éclairer les âmes.
Son style est délicat, poétique, et c’est pour cela sans doute, que dès que nous refermons ce livre, nous avons l’impression de voir venir l’obscurité…
Les couleurs de la nature seraient « inimitables » ? L’écriture de Michel Bernard aussi.

Anne-Marie Boisson 
(10/11/16)    



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Lectures








La Table Ronde

(Août 2016)
224 pages - 20 €









Michel Bernard,
né en 1958 à Bar-le-Duc,
a publié une douzaine
de livres et obtenu
plusieurs prix littéraires.

Bio-bibliographie sur
Wikipédia








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Les forêts de Ravel