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Ibrahim ASLÂN

Deux chambres avec séjour


Deux chambres avec séjour d'Ibrahim Aslân est un court roman, un feuilleton domestique comme le signale son sous-titre ; un court roman aussi dépouillé que pourraient être les dernières pages du livre de nos vies, car nous pénétrons ici dans l'univers d'un couple âgé, Khalil vieil homme à la retraite et son épouse Ihsan. Leur univers : ces deux chambres et le séjour où trône le téléviseur qui leur dévoile le monde extérieur, celui dans lequel ils ne se rendent plus que rarement. Que l'on vive dans les faubourgs du Caire, comme notre couple de retraité, en banlieue parisienne ou dans celle de Londres ou encore dans une île du Pacifique, avec l'âge qui avance pour jouer avec nos os comme avec des osselets, l'espace que nous occupons se rapetisse inexorablement, pour se réduire la plupart du temps à celui de notre domicile, à deux chambres avec séjour.

Ce n'est pas l'horloge des Vieux de Jacques Brel qui résonne, celle "qui dit oui, qui dit non, et puis qui les attend", mais le téléviseur qui les endort lentement, les réveille brusquement au gré du son des émissions et attend la fin de leur programme. Ainsi Ihsan, l'épouse, assise sur le grand lit, avec ses cheveux blancs attachés et son corps fatigué incliné vers l'avant, quand la sonnerie du téléphone a retenti dans le film à la télévision dans le séjour. Elle a fait : – Quelqu'un peut répondre au téléphone ? Elle a cru que c'était celui du séjour. Elle a crié : – Quelqu'un peut répondre au téléphone ? Au même instant, Abbas Fares, qui jouait dans le film, a mis son tarbouche pour aller répondre. Comme s'il l'avait entendue… Alors moi, tu vois, je me suis levé et je suis rentré dans la chambre pour lui dire qu'Abbas Fares l'avait entendue et était allé répondre. Pour plaisanter, quoi… c'est là que j'ai vu qu'elle avait rendu l'âme.
Et ainsi pour revenir à Brel : celui des deux qui reste se retrouve en enfer…

Pour Khalil, l'espace de son univers après cette disparition se rétrécit à nouveau : il n'a plus le regard de son épouse Ihsan pour l'agrandir d'autant. Ainsi il doit à présent se hasarder à sortir de chez lui pour espérer retrouver cet espace qui lui manque ou bien fouiller les vieux souvenirs, ceux rescapés de toute une vie, un tas de photos d'eux à différentes époques. Ihsan avec son beau visage jeune et ses grands yeux, qui fixait l'appareil en riant, toute bien maquillée. Une autre photo avec eux deux dans un coin du séjour, lui avec sa chemise qui sortait du pantalon, et elle en djellaba d'intérieur, d'un tissu léger qui laissait apparaître ses formes. Mais ils sont juste là, ces souvenirs pour bercer une nostalgie qui s'essouffle, les vieux ne savent plus qu'observer avec inquiétude le trait horizontal de leur avenir qui a déjà barré d'un trait discret les émotions passées.

Le roman d'Ibrahim Aslân (1935-2012), le dernier de sa production, est imprégné de détails touchants sur la vie de ce vieux couple du Caire, mais aussi plein d'un humour en demi-teinte qui, il me semble, devrait être bien plus perceptible lu dans sa langue d'origine (l'arabe d'Egypte). Il nous apprend aussi que les vieux sont souvent à l'abri des événements comme on dit, les bruits de la rue ne leur parviennent plus que voilés par le son du téléviseur diffusant leurs feuilletons préférés.

Ibrahim Aslân, dont Actes Sud a déjà publié deux romans – Équipe de nuit, 2000 et Kit-Kat Café, 2006 – appartient à cette génération d'écrivains égyptiens ayant commencé à publier dans les années soixante au même titre que Gamal Ghitany, Sonallah Ibrahim ou Abdel Hakim Qassens.

Notre grand général de France disait : La vieillesse est un naufrage ! En lisant le livre d'Ibrahim Aslân il nous semble qu'elle ressemble à une lente dérive le long du grand Nil nourricier.

David Nahmias 
(26/04/13)    



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Actes Sud

(Février 2013)
128 pages - 16,80 €



Traduit de l'arabe
(Égypte)
par
Stéphanie DUJOLS








Ibrahim Aslân
(1935-2012)