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Barzou ABDOURAZZOQOV

Huit monologues de femmes


Huit monologues courts (3 à 8 pages), directs, bruts, intimes, comme surpris de façon presque indiscrète derrière une porte, pour dire les femmes tadjiks à la frontière de l'Afghanistan et de l'Ouzbékistan, dans un pays ravagé par l'intégrisme religieux, entre mosquées et ruines de l'ère soviétique.
Toutes vivent en ville et les tranches de vie, les frustrations, les colères, que ces héroïnes, qui ont eu à affronter l'adversité sociale et culturelle, énoncent avec vivacité par l'intermédiaire de situations tragiques ou cocasses, contiennent de façon retenue une certaine dose de violence à l'égard de leur mari ou, simplement, de cette société ancestrale qui les opprime.
"Les humains, j'en ai déjà une belle pratique et je peux vous dire à distance, sans même voir leur faciès, ce que chacun vaut et l'idée qu'il a de lui-même." (V, la mendiante)

Qu'elles aient été violées, abandonnées, battues, qu'elles soient trompées ou trompent elles-mêmes leur cher époux, qu'elles soient à la recherche d'une fille disparue ou exploitent leurs enfants, toutes revendiquent leur statut d'être humain à part entière, leur désir de vivre, de penser et d'agir selon leur propre volonté.
"Plus jamais je ne permettrai qu'on m'humilie, qu'on m'outrage, qu'on me piétine ou qu'on lève la main sur moi. La question ce n'est pas l'étranger (…) c'est en toi qu'il est. Dans la conscience que tu as de ce que tu es, même si ce n'est pas grand-chose, mais ça, eh bien, c'est unique." ( III, l'adolescente violée )

Parfois aussi, elles nous parlent de l'amour, de la maternité, du bonheur, mais "le malheur arrive toujours quand on s'y attend le moins. Comme un voleur embusqué à l'angle d'une rue, un gourdin sur l'épaule, le soir où toi tu rentres chez toi les bras chargés de cadeaux." (I, la femme trompée)

C'est aussi, dans cette société passée avec une certaine brutalité de la domination soviétique au monde musulman, la perte de repères de tout un peuple qu'elles évoquent à travers leur destin.
Les hommes, ici, ne sont pas à leur avantage, le plus souvent volages, lâches ou absents, ou pire alcooliques ou violents. Et ces femmes, que l'ont imagine aisément surprendre dans un échange entre elles loin de la surveillance des mâles, savent à la fois se moquer d'eux et d'elles-mêmes, donner coups de dents et de griffes, racontant le quotidien pour en masquer l'aspect douloureux derrière le ridicule et pouvoir ainsi transcender contraintes, soucis et chagrins.
Toutes, à leur façon, se sont même libérées du joug des hommes, par nécessité ou par choix. Certaines, plus chanceuses ou plus combatives, se sont même taillé une place dans le monde du travail. Mais chacune, éduquée ou non, quelle que soit son extraction sociale, a su, à un moment, différemment, dire non et se battre avec ses propres armes.
"Vous n'avez que trente, quarante ans, mais l'envie de vivre vous a déjà quittées. (…) vous fanez dans la force de l'âge, alors qu'on peut encore déplacer des montagnes, faire tourner la tête aux hommes; Vous vous laissez aller, rien ne vous étonne plus, l'invention vous a fuies, vous ne sollicitez plus votre imagination, vous lâchez pied au moment où il faut repasser à l'attaque.(...) oui c'est vous qui les poussez dans mes bras.(...) ils sont où est le rêve.(...) Un peu de fantaisie que diable, rajustez-vous. Et n'ayez peur de rien. Croyez en vous. Vous Conquerrez le monde." (VII, la prostituée)
Des forces de vie, ces femmes, reliées par le même credo : s'obstiner et garder l'espoir.

Il y a, derrière les témoignages lumineux, rageurs et décapants, de ces êtres ordinaires et anonymes, une revendication d'identité, de liberté, de fierté, émouvante, convaincue et convaincante.

L'ensemble est tenu par une écriture résolument réaliste et contemporaine, avec au-delà des particularismes locaux, des propos souvent savoureux et surprenants, qui ne dépareilleraient pas, dans leur essence, dans la bouche de certaines de nos consœurs de nos banlieues ou nos grandes villes.

Ces monologues, entre courtes nouvelles et saynètes de théâtre, servies à la première personne dans un style oral et une langue crue, gouailleuse et coupante, qui affichent un parti pris d'humour, voire d'autodérision, sont réjouissants. A n'en pas douter, les comédiennes qui se les ont appropriés avec la Cie Aux deux ailes se régalent en les jouant.
A la simple lecture, nous aussi. Vraiment.

Dominique Baillon-Lalande 
(08/03/13)    



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Zulma

64 pages - 10,50 €


Traduit du russe
(Tadjikistan) par
Stéphane A. Dudoignon










Barzou Abdourazzoqov,

né en 1959 au Tadjikistan, écrivain et metteur en scène, s'est rendu célèbre en revisitant Les Fourberies de Scapin "à la manière tadjik". Il est maintenant directeur artistique
du Théâtre national
de Khoudjand,
dans le nord du pays.