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Lina WOLFF


La prise du diable


Une femme suédoise belle et élégante s’installe à Florence. Cette ville est à l’opposé exact de sa Scandinavie natale ; chaleur, nature absente ou inaccessible, « des amants partout dans la chaleur », et « une vie sociale qui constitue l’arène même de l’existence ».  Sa phobie sociale, sa faculté de se dérober au monde et de se réfugier au fond d’elle-même seront mises à mal dans ce pays latin.
Elle a rencontré un homme laid à la virilité exubérante qu’elle s’emploie à transformer.  Se raser le crâne, s’habiller autrement, faire du sport et suivre un régime alimentaire font de lui un autre homme. Il l’appelle affectueusement Minnie, car, comme Minnie Mouse elle ne fait pas de bruit. Elle va donc le baptiser Mickey. Mais en son for intérieur elle l’appelle « le propre sur lui ».
Tout oppose Minnie et Mickey, la culture, les goûts, les personnalités. Les deux protagonistes de ce couple bizarre cherchent à exercer leur pouvoir sur l’autre. Commencent alors les insinuations qui dégénèrent en disputes et elles-mêmes en querelles spectaculaires. Minnie ne se reconnaît plus, elle si calme et réfléchie se met à hurler. Elle pense que l’excitation sexuelle et l’agressivité sont liées et se potentialisent l’une l’autre. Elle doit gagner son respect et ne pas céder aux fantasmes de Mickey. Elle sent qu’elle devient exclusive et jalouse alors que Mickey veut garder sa liberté. « Elle n’a qu’à faire comme les femmes latines. Détourner le regard… »
Après les querelles, viendront les violences et les idées de mort. Minnie est pourtant consciente du danger, elle sait que la voie sur laquelle elle est engagée la conduit en enfer. Elle aimerait pouvoir se confier à une amie, avoir quelqu’un qui puisse l’aider. Mais elle n’a pas d’amie. Elle aimerait pouvoir quitter Mickey tout de suite, mais « elle est prise dans une sorte de poigne, d’étau, qui ne se desserre pas. » Même l’idée du suicide la soulage.
Dans cette tourmente elle peut néanmoins s’autoanalyser avec lucidité. À chaque fois qu’elle cède à ses avances, à chaque fois qu’elle laisse la chair décider, elle sent qu’elle perd une partie de son âme. « C’est le prix de la passion. L’âme se racornit. La dignité s’effrite, la respectabilité, tout ce qui est soi, le noyau intime de soi – tout cela s’étiole. Seule la chair s’épanouit. »
Avec l’été brûlant, leur relation « s’infecte davantage ». Elle sait qu’elle devrait le quitter immédiatement mais elle n’en a pas la force. Pour comprendre ce qu’il se passe dans leur relation elle imagine que des démons ont élu domicile dans leurs corps et sont en train de se livrer un combat mortel. « Ils se sont glissés en nous à la faveur d’un moment où nous avons perdu le contrôle, pendant une dispute, quand ça a dégénéré, ou quand nous nous livrions à des formes de sexe illicites. Bref, ils en ont profité pour s’introduire en nous. […] Et ils se servent de nous pour se blesser l’un l’autre. » Cette théorie est validée par ses lectures de Jung qui estime que spiritualité et sexualité sont des « daimôns » puissants, des manifestations des dieux qui existent par elles-mêmes.
La suite du roman que je ne veux pas dévoiler sera un long calvaire. L’autrice s’exprime par la voix de la psychologue que Mickey a décidé de consulter pour sauver leur couple, les guérir elle de sa paranoïa, lui de ses violences. « Les femmes battues endossent volontiers la responsabilité de la situation. C’est une façon inconsciente de se persuader qu’elles y peuvent quelque chose. » La psychologue conseille à Minnie de fuir sans se retourner, sans donner ni prendre des nouvelles, se sauver d’une fin prévisible. Pour elle, ce genre d’homme narcissique ne peut pas guérir.
Ce roman est assez éprouvant à lire mais il est attachant et instructif. Cette femme intelligente et cultivée, qui analyse si bien la situation ne peut pas s’en sortir, elle est sous emprise.  C’est une question hélas encore d’actualité.

Nadine Dutier 
(04/03/24)    



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Les Argonautes

(Janvier 2024)
272 pages - 22,90 €


Traduit du suédois
par Anna Gibson










Lina Wolff
née en Suède en 1973, traductrice et romancière,
a déjà publié quatre livres
et obtenu plusieurs prix littéraires.



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