L’écriture de Nicolas Mathieu porte ce livre étonnant, fragmenté, éclaté pour dire la vie dans tous ses détails du quotidien.
« Je ne sais plus quand j’ai commencé à écrire sur Facebook. Vers 2008 je crois. Et mon premier post Instagram doit dater de 2012. Depuis, j’en ai publié plus de mille quatre cents. Mais à partir de 2018, j’ai commencé à écrire là des messages qui n’étaient destinés qu’à une seule personne. Une femme, qui n’était pas libre. Ces textes peuvent se lire comme des billets cachetés que je lui adressais et où je glissais par surcroît comme une friandise, l’attention que d’autres allaient leur porter. »
Le temps qui passe, les amours parfois clandestines, les enfants qui grandissent et les parents qui vieillissent, tout ce morcellement accumule les instants qui constituent une vie.
Avec son éditrice, Emmanuelle Lê, ils décident de regrouper ces éclats :
« En composant notre livre, avec les dessins d’Aline Zalko, ses couleurs et ses incendies, en y mettant un ordre, en y organisant des systèmes d’échos, de correspondances, en dégageant ces motifs qui sont comme des signaux sur une piste d’atterrissage, la nuit, quand le ciel ne se distingue plus du sol, nous avons ambitionné de réveiller ces puissances qui en chacun ruminent, ce sentiment qui parfois le matin nous prend à la gorge et nous fait dire, dans notre voiture ou face au miroir, les yeux mouillés et les lèvres pâlies : Bordel, ma vie n’aura-t-elle été que cela ? »
Les illustrations d’Aline Zalko, magnifiques avec leur dominante de rouge, sont une superbe accumulation de traits pour mettre en scène ce réel à la limite du songe.
La vie ne tient parfois qu’à un fil et les questionnements de Nicolas Mathieu entremêlent sa vie sentimentale et sa vie d’écrivain. Les moments seul dans une chambre d’hôtel, les séances de signature dans les librairies avec peu de public, les moments volés avec cette femme aimée qui n’est pas libre et a son propre quotidien, à elle, ailleurs, en dehors de leur relation, la période du confinement qui a éloigné tant d’amantes et d’amants, les émotions d’un père avec son fils et d’un fils avec son père vieillissant… tout cela se côtoie et constitue la matière des souvenirs.
« Tu penses à ton fils qui a passé la nuit dans une cabane perchée dans un arbre. Tu le racontes à ton père et ça le fait rire.
Un jour, il te demande de l’aide pour retirer son t-shirt et tu vois pour la première fois depuis très longtemps sa poitrine, les poils blancs, son ventre gonflé, ses bras réduits à rien. Ce sont pourtant ces mêmes bras qui t’ont porté autrefois. Des photos de vacances le prouvent. Tes souvenirs aussi sont là qui te l’assurent. »
Le texte étonnant de Nicolas Mathieu ouvre sur bien des possibles.

Brigitte Aubonnet 
(04/04/24)    

Nicolas Mathieu,
né en 1978 à Épinal,
a obtenu plusieurs prix pour
Aux animaux la guerre
et le Goncourt 2018 pour
Leurs enfants après eux.