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Perrine LE QUERREC

Les pistes


Ces 42 courts récits, appelés « pistes » ne mettent en scène que trois personnages : Eva, Piotr et Tom, qui sont une femme, un homme et un enfant qui évoluent dans 42 univers différents. Une énorme contrainte d’écriture, un incroyable défi.
 On pourrait penser à un exercice de style à la Raymond Queneau. Je crois que la référence au cinéma est plus juste. D’ailleurs, une citation de Godard mise en exergue et le prologue nous indiquent bien que son écriture va « fendre l’air jusqu’au trottoir », faire un « gros plan sur une petite tennis blanche ». « Une histoire qui n’a plus rien d’une histoire, mais une masse compacte de paysages, de terres immergées – une géographie mutante. » Une autre référence explicite, est cette piste qui est inspirée par « Shining » et l’égale en tension, folie et terreur. Ou encore dans la quatrième piste, « amplifier le son […] dans un rectangle noir s’illuminant brutalement… »
D’ailleurs, l’autrice éprouve le besoin de créer des raccords entre les pistes : un mot, une image, une couleur suffisent pour créer ce raccord.
Autre inspiration, les chansons qui surgissent comme un souvenir qui s’invite. Certains textes suggèrent des sensations d’éclatement, d’hallucination, d’emprise par la drogue. Les univers évoqués sont très diversifiés : le cirque, les grands magasins, la prison, la rue des SDF et ses dangers, les migrants, la drogue, le tourisme sexuel, le marathon.
Les thèmes tragiques sont plus fréquents : la mésentente d’un couple et l’enfant qui fuit leurs cris, la mort, une mère absente à son enfant, le suicide, le viol, le deuil impossible, les cavaliers de l’Apocalypse réinventés, la ruine après la guerre, la détresse du soldat amputé pendant la guerre, la femme battue, la maladie. Les thèmes heureux sont rares, mais il y a parfois un peu de paix.
Le thème de l’écriture apparaît par surprise plusieurs fois. Ainsi, alors que l’autrice décrit le vol du papillon, son battement d’ailes, dix mouvements par seconde, elle se demande « Crois-tu que l’écriture, dix mots par minute ou par heure ou parfois par jour, bat des ailes […] crois-tu que l’écriture bat de l’aile, complexe, fragile, éphémère ? »
 Dans une autre piste « le vélo n’a cessé de rouler d’un bord à l’autre de l’écran et de la page. L’écriture ne cesse de s’étirer d’un bord à l’autre de la page, lignes qui avancent, charrient notre attention. Elle trace des cordes des codes des temporalités élastiques, se distend, capable de projeter notre attention au-delà des enceintes interdites. »
Dans la piste qui se passe dans une déchèterie, Ève vide une maisonnette où elle vient de s’installer. « …elle vide des sacs, des cartons, des formes. Elle vide les autres vies. Elle nettoie. Les bennes sont pleines du passé des uns et des autres. Pleine de regrets de trahisons de ruptures de deuils. Pleine de nouveautés de possibles. » À travers la description de gestes simples, l’autrice met en évidence des émotions, des résumés de vies, des espoirs.
Un livre très original, écrit dans un style percutant. Ses livres précédents semblent également écrits dans un style tranchant et militant dans le cas de Rouge Pute qui dénonce les violences faites aux femmes. Des textes de colère, de combat qui réclament la justice.

Nadine Dutier 
(14/02/24)    



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Lectures








Art & Fiction

(Janvier 2024)
128 pages - 13 €







Perrine Le Querrec,
poétesse, romancière et nouvelliste, a déjà publié une trentaine de livres.


Bio-bibliographie
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www.perrine-lequerrec.fr