Pour qui a déjà lu Régis Jauffret, nul besoin de rappeler qu’il est un grand écrivain. Pour les autres, disons qu’il est un auteur qui peut s’emparer de tout sujet et de tout genre avec la même élégance et profondeur de style. Qu’il s’agisse d’autofiction, de fiction ou d’ouvrages semi biographiques, il sait rechercher dans les êtres ce qu’il y a de plus intime et le rapporter à ses lecteurs par des voix si justes qu’elles semblent nous parler.
Dans son dernier livre, c’est tout à fait le cas. Klara, plus précisément Klara Hitler, nous raconte sa vie et la grossesse de qui deviendra le tyran que l’on sait en semblant se confier réellement à nous, comme si elle était assise à nos côtés. Le livre se lit donc d’une traite, comme si l’on écoutait une histoire.
C’est une histoire de la fin du 19ème siècle, en haute Autriche. Klara est ce que l’on pourrait appeler une âme simple. Démunie de mauvaiseté, elle traverse sa vie en remettant chacun de ses actes à Dieu et à ses émissaires, les abbés. À eux mais aussi à son oncle, un homme qui a tout pouvoir sur elle. Un temps sa domestique, elle deviendra son épouse lorsqu’il sera veuf. Jamais elle ne l’appellera autrement que Oncle, peut-être pour ne pas oublier ce que l’abbé qui la confesse lui rappelle régulièrement : elle vit dans le péché.
En l’habitant de cette idée, Régis Jauffret fait d’elle un être brisé, qui écrit dans un cahier pour se libérer, s’allèger. Puis sur un tableau noir d’où elle efface ses mots dès qu’elles les a formés. Est-ce fiction ? Vraisemblablement, même si Régis Jauffret s’est documenté à foison pour écrire ce livre, la bibliographie de fin en témoigne et il le dit lui-même : « La règle à laquelle je me suis tenu est de respecter les éléments tangibles dont on dispose concernant les parents de Hitler. »
Ils sont donc là, sous nos yeux, les parents de Hitler. L’oncle solide, intransigeant et avide de plaisirs charnels. Klara la servante, la soumise, qui se rebelle dans le secret de son écriture mais s’écroule devant les diktats de l’oncle et de Dieu. Des parents incestueux que l’église a accepté de marier. Un couple un rien honteux, singulier c’est certain.
De leur singularité naîtra Hitler. On suit ici sa gestation dans le ventre de Klara, comme le titre du livre l’indique. Qui mettra-t-elle au monde ? Un démon ? Un saint ? Elle ne cesse de s’en inquiéter, Régis Jauffret lui donnant même la faculté de lire l’avenir de son enfant dans des scènes où elle visualise le futur.
Ces visions-là sont écrites d’un jet, comme un jaillissement d’horreurs. On aimerait croire qu’elles ne seront pas. On sait qu’il n’en est rien. Klara accouchera, le livre s’achèvera et les dès seront jetés.
Au-delà de l’histoire de Hitler lui-même, un très beau livre sur la destinée.