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Nathalie HADJ


L’impossible retour


Dès les premières pages la narratrice, Margot Kasidi, est confrontée à la mort de son père et à l’indifférence de sa mère face à cet événement. Cette mort et cette indifférence vont l’amener à remonter dans le passé de ces deux êtres qu’elle aimait malgré leurs différences.

Karim, son père, est né dans un village de Kabylie, près de Tizi Ouzou. En 1956, la guerre faisait rage, les parachutistes recherchaient les rebelles fellaghas et ont abattu un de ses amis devant lui, au cœur du village. Karim a choisi de quitter le pays. « Il tremblait à cause de cette mort injuste et de cette fuite tout aussi injuste pour éviter sa propre mort, évidente, immédiate, imprévisible et pourtant si certaine. Il n’y avait pas d’autre issue que de partir pour la France même s’il s’agissait aussi d’une terre hostile où il continuerait d’être l’indigène, le raton, le bougnoul dont la présence dérange. »
A Paris, il a la chance de rencontrer un homme juste, rescapé des camps, qui l’embauche dans son entreprise à condition qu’il change de prénom et devienne Paul. « Vous êtes encore peut-être trop jeune pour le comprendre, mais un prénom, c’est comme un vêtement, vous pouvez en changer autant que vous voudrez, l’essentiel, c’est de ne pas perdre ce que vous êtes vraiment. Vous continuerez d’être un Kabyle d’Algérie et moi un Juif polonais. Moi aussi j’ai dû changer de prénom, de nom même, je ne m’appelle pas Jean Izard mais Yakub Itskowitz. On ne trahit personne en changeant de nom, ni même de nationalité. C’est une question de survie, on ne peut pas prévoir ce qui va se passer. »

Sa mère, Ana, est née à Malaga, dans l’Espagne franquiste. Son enfance a été marquée par la misère. « L’absence d’argent l’a privée d’une enfance de jeux et d’insouciance pour la forcer à travailler, dès ses huit ans dans les champs comme porteuse d’eau pour les paysans qui récoltaient du coton. » En 1962, elle est partie à Paris avec un objectif : gagner de l’argent. Pour envoyer à sa famille mais aussi pour construire une maison en Espagne où elle espérait retourner, plus tard.

Ana ne voulait pas rester vieille fille, il fallait se marier avoir des enfants. Elle avait déjà vingt-trois ans. Elle a rencontré Paul, il était beau, gentil, plutôt timide, respectueux. Il avait un travail. Elle ne trouverait pas mieux. Il se sont mariés très vite, en 1963. L’amour de Paul pour Ana n’était pas réciproque. « Le couple qu’il forme avec ma mère est une énigme que je ne parviendrai jamais à élucider. C’est Jean Gabin et Simone Signoret dans Le chat, l’histoire d’un drame conjugal, d’un ménage malheureux qui se déchire, se méprise, et se hait jusqu’à l’épuisement. »

Margot évoque ses souvenirs d’enfance, les vacances en Espagne tous les ans et une fois en Algérie. La loge de concierge où ils vivaient et toutes les voisines qui venaient raconter leur vie à Ana, femme de ménage, couturière et oreille bienveillante. Très discrète, au pied de la machine à coudre, la petite Margot a beaucoup appris.

Sur son père, Margot n’en saura pas beaucoup plus de son vivant mais, après son décès, elle va chercher, notamment dans ce petit bistrot où elle l’accompagnait tous les samedis matin. « Dès notre entrée, mon père se métamorphosait, il cessait d’être Paul pour redevenir Karim, parlait arabe, serrait la main d’une façon étrange, en portant la sienne sur son cœur, et souriait à pleine bouche sans se soucier que l’on remarque ses dents en or. Toute la clientèle du café semblait l’attendre, l’appelait sidi Karim et, même si je ne comprenais pas ce qu’il se disait, il y avait une joie presque palpable qui émanait de ses retrouvailles. » Il y jouait même le rôle d’écrivain public pour les courriers administratifs ou les lettres au pays.
Margot est retournée dans ce café. On lui a parlé de Karim, de son rôle dans le FLN, de détention et de tortures, de la manifestation du 17 octobre 1961 contre le couvre-feu imposé aux seuls travailleurs immigrés…
« La mémoire, c’est le travail des descendants, disait mon père, de ceux qui ont souffert ; les victimes, elles, doivent tout oublier et se taire pour pouvoir survivre. » Son père s’est tu et Margot – ou plutôt Nathalie Hadj – raconte.

Le résultat en est ce très beau livre, émouvant, passionnant et nécessaire, rappelant le vécu des immigrés dans les années 60, qu’ils viennent de l’Algérie en guerre, de l’Espagne franquiste ou d’ailleurs. Les choix, les rêves, les conditions de vie et de travail, l’espoir d’un retour souvent impossible.

Serge Cabrol 
(22/02/24)    



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Mercure de France

(Janvier 2024)
208 pages - 20 €














Nathalie Hadj
L'impossible retour
est son premier roman.