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Hakan GÜNDAY

Zamir


Un roman réaliste, une fiction, un essai de géopolitique sur l'état du monde actuel, un essai critique sans concession sur l'hypocrisie des gouvernants et les dérives des organisations humanitaires, une réflexion sur l'indifférence et la bonne conscience des nantis face aux tragédies du monde ?  Zamir est tout cela à la fois. D'une construction très élaborée, ce roman alterne deux fils narratifs, celui du passé et celui du présent. Ainsi le lecteur découvrira au fil des pages le passé de Zamir – le héros du livre – et son activité présente au sein d'une organisation humanitaire. Le narrateur intervenant quant à lui ici et là pour nous livrer ses réflexions critiques acérées et mordantes, parfois sarcastiques...

Âgé de quelques jours, Zamir est abandonné par sa mère dans le camp de réfugiés Al-Aman à la frontière turco-syrienne. Une bombe explose dans le camp, le bébé est très gravement blessé et grâce aux soins extraordinaires d’Asbjörn, un chirurgien norvégien, le bébé survit mais il est défiguré, sans visage. "All-for-All", l’organisation humanitaire qui gère ce camp de réfugiés enverra Zamir à l'étranger pour lui donner une éducation mais très vite, Zamir est utilisé à des fins promotionnelles de "All-for-All" pour recueillir des fonds. Il deviendra une 'vedette' connue dans le monde entier et nous le retrouverons des années plus tard faisant des conférences à Genève ou à New-York sous l'égide de cette organisation devant un parterre de personnalités politiques....
« Il est possible de mesurer le degré d'abus dans une ville d'après le nombre d'associations caritatives qui s'y trouvent. Capitale du capitalisme, New-York était donc le centre du secteur caritatif qui, après tout, ne pouvait prospérer que là où toute justice des revenus était inexistante. Ce travail était idéal pour les régions où l'individu n'était pas protégé par L'Etat social, l'Etat s'en étant retiré pour laisser les pauvres à la merci des riches. »

Après "All-for-All", Zamir sera recruté par une autre organisation, "Pour la Première Paix Mondiale". Il y jouera un rôle de 'négociateur de l'ombre' et d'intermédiaire pour éviter tous les conflits dans le monde mais où l'éthique n'est pas toujours au rendez-vous... Les conflits dans le monde, Hakan Günday en invente certains, par exemple un conflit entre la Chine et la Russie évité grâce au virus de l'invisibilité proposé par Zamir. Il en est d'autres tout aussi fictifs mais dont on parle parfois comme par exemple l'Allemagne décidant d'expulser tous les Turcs de son territoire...
« N'oublions pas que ces gens sont venus dans notre pays en tant "qu'ouvriers invités". Mais ces invités se prennent maintenant pour les maîtres de maison ! Ils ont même tellement peu d'égard pour leur maison d'accueil qu'ils en ont depuis longtemps meublé une partie à leur goût. C'est inacceptable !
L'Allemagne n'est pas les Etats-Unis ! Son histoire est dépourvue d'une source de honte telle que l'esclavage ! L'Allemagne n'est pas la France ! On ne peut pas dire aux Maghrébins : "La France, tu l'aimes ou tu la quittes !" après avoir écrasé la langue, la culture et l'économie de toute l'Afrique du Nord !... »

Tout au long du livre, le lecteur va retrouver Zamir, tantôt dans son passé, tantôt dans l'exercice de sa carrière de 'faiseur de paix' dans des situations parfois rocambolesques et, toujours avec une grande pertinence, l'auteur nous montre les visages du monde, comme par exemple ces deux files d'attente à l'aéroport de Berlin :
« Dans l'une des files d'attente, des dizaines de personnes se tenaient les unes derrière les autres et discutaient en riant, tout excitées de partir en vacances, dans la suivante, d'autres étaient pour ainsi dire en train de mourir debout. Immobiles comme autant de statues antiques au bras ou à la jambe brisés, ces gens regardaient au loin d'un air pensif. Aucun ne riait, ne plaisantait ni ne parlait. Seuls les bébés et les enfants en bas âge étaient bruyants... Les adultes n'étaient visiblement pas dans le même état d'esprit que les enfants... Ces passagers-là ne souhaitaient aller nulle part, juste rentrer chez eux. C'étaient des Allemands originaires de Turquie que l'on expulsait... Mais bien qu'ils fussent sous leur nez, ceux qui partaient en vacances ne voyaient pas les expulsés... »

Zamir, une métaphore du monde actuel ? Peut-être. Mais assurément un grand livre qui donne à réfléchir.

Yves Dutier 
(29/02/24)    



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Gallimard

(Janvier 2024)
432 pages - 23 €


Traduit du turc par
Sylvain Cavaillès










Hakan Günday,
né à Rhodes en 1976, vit à Istanbul. Il a déjà publié plusieurs romans et obtenu le prix Médicis étranger 2015 pour Encore.




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