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Percival EVERETT


Châtiment


Ce roman noir révèle aux lecteurs la pratique du lynchage dont les Noirs américains et d’autres minorités ethniques ont été victimes tout au long du XXe siècle et sans doute auparavant. Le plus célèbre d’entre eux a été Emmett Till, jeune homme de quatorze ans, lynché et torturé à mort dans la ville de Monney, Mississippi, en 1955. Ses bourreaux l’ont frappé à coups de crosse de revolver, puis, après lui avoir attaché un poids autour du cou avec du fil barbelé, ils le jettent dans la rivière. Des photographies du cadavre mutilé ont circulé dans le pays provoquant un immense émoi. Son assassinat a été un des éléments déclencheurs du Mouvement pour les droits civiques.
C’est dans cette même petite ville que l’auteur nous transporte dans une période contemporaine. Une ville où le racisme a la peau dure. Certains s’adonnent encore aux rites du Ku Klux Klan. Les cadavres de deux hommes blancs sont retrouvés, un fil barbelé autour du cou et atrocement mutilés. Il s’agit de Junior Bryant et Wheat Milam. Mais mystérieusement, sur chaque scène de crime, on retrouve un second cadavre qui ressemble beaucoup à Emmett Till.
Deux enquêteurs, noirs et plutôt sympathiques, Jim et Ed sont envoyés à Money pour aider le shérif et ses adjoints, caricaturaux de bêtise, à démêler cette affaire. Ils sont bien sûr mal accueillis, comme si les pèquenots de Money ne pouvaient pas se débrouiller tout seuls. Mais très vite Jim et Ed sont avertis que les parents des deux victimes étaient justement les lyncheurs d’Emmett Till. Et que la vieille Mamie C. n’est autre que Caroline Bryant qui, en 1955 a accusé faussement Emmett Till de lui avoir fait des avances. Son mari et son demi-frère Roy Bryant et J. W. Milam sont les bourreaux du jeune Noir.
D’autres crimes auront lieu, avec toujours une mise en scène analogue. Un cadavre momifié d’homme noir ou d’homme asiatique tient à la main les testicules arrachés à l’homme blanc. Comment ces cadavres peuvent-ils s’échapper de la morgue ? Qui a pu commettre ces crimes sans jamais faire de bruit ? Un agent spécial du FBI, Herberta Hind, noire également, va rejoindre Jim et Ed pour mener l’enquête.
Une rencontre décisive va faire avancer l’enquête. Celle de Gertrude et de son arrière-grand-mère Mama Z. Celle-ci a cent cinq ans et toute sa tête. Elle documente et archive depuis l’année 1913 tous les crimes par lynchage à travers les États-Unis, un dossier par victime. Ces dossiers remplissent une pièce dont tous les murs sont recouverts d’armoires à classeurs. Son père a été lui-même victime de lynchage peu après sa naissance, en 1913.
« – Jadis j’allais dans les bibliothèques partout dans l’État pour lire tous les journaux. Maintenant j’utilise internet. Il faut que vous sachiez que je considère les fusillades policières comme des lynchages, sauf le respect que je vous dois.
– Pas de problème, dit Jim.
– Pourquoi faites-vous ça ? demanda Ed.
– Parce que quelqu’un doit le faire. À ma mort, quand l’existence de cet endroit sera révélée, j’espère qu’on en fera un monument aux morts. »
Gertrude a invité un ami écrivain, Damon, spécialiste de la violence raciale pour conserver une trace de cette histoire. Il consulte tous les dossiers et note les noms des victimes, comme pour les honorer, leur redonner un peu de dignité, un peu de vie. Entre 1882 et 1955, il y eut cinq cents Afro-Américains lynchés dans le Mississippi.
Tandis que des fantômes se soulèvent de partout, regroupés en horde, dévastant les villes comme une tornade, un murmure, un gémissement se fait entendre : « Debout ».
Damon continue à noter les noms par milliers. Mama Z demande « Dois-je l’arrêter ? »
Ce roman noir a adopté le langage et les codes du roman policier avec une part de fantastique. De quoi les fantômes sont-ils la métaphore, les injustices et les crimes subis doivent-ils être vengés ? Ce sera au lecteur de le découvrir.
Nous connaissons moins en Europe qu’aux Etats-Unis l’histoire d’Emmett Till. Des poèmes, des chansons, des films, des romans, des articles ont été consacrés à ce jeune homme par Aimé Césaire, Bob Dylan, Joan Baez et bien d’autres. Un énorme retentissement et une mémoire revisitée depuis toutes ces années et encore plus depuis les années 2020. Percival Everett s’inscrit dans cette longue tradition.

Nadine Dutier 
(12/02/24)    



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Noir & polar








Actes Noirs
(Février 2024)
368 pages - 22,50 €

Version numérique
14,99 €


Traduit de l’anglais par
Anne-Laure Tissut











Percival Everett,

né en 1956, diplômé de littérature et de philosophie, dirige le département de littérature de la Southern California University.
Romancier, nouvelliste et poète, il a déjè publié
une vingtaine de livres.