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Alexandre CIVICO

Dolorès
ou Le ventre des chiens


Ce roman noir débute par l’arrestation de Dolorès Leal Mayor qui vient d’assassiner sa dernière victime. Elle est assise dans une mare de sang et « caresse doucement sa tête comme une mère qui ne pourrait se détacher de son enfant mort-né. » Elle semble flotter dans un autre état de conscience que celui de la réalité. Tout lui est indifférent. Elle se laisse arrêter sans résister, sans poser de questions. Elle est d’emblée emmenée dans un centre pénitentiaire sans garde à vue car elle est « spéciale » pour ne pas dire dangereuse. Ce premier chapitre n’en dira pas plus mais les phrases très courtes, les cris, la brutalité de la porte qui vole en éclats, le gyrophare, la voiture qui démarre en trombe suffisent pour imaginer que cette femme qui nous paraît si douce, était très recherchée et fait très peur. Avec une certaine habileté, l’auteur ne nous décrit de cette arrestation que ce que Dolorès en perçoit, à hauteur de plancher. « Je n’ai pas levé la tête, j’ai vu leurs chaussures, des brodequins noirs et luisants. Quatre paires qui se sont précipitées dans la pièce. C’est elle, c’est sûr que c’est elle. J’ai entendu un appareil de transmission, ça crachait, il a dit je crois que c’est elle, je crois qu’on l’a. »

Brutalement, le lecteur est immergé dans le corps d’Antoine. Il n’est question que de douleur, d’angoisse, de dégoût, d’ennui. Antoine souffre, il boit et sniffe comme un malade. C’est seulement l’alcool et la cocaïne qui libèrent son cerveau et le ramènent à la vie. Quand il se regarde il a « l’impression de voir une limace léchant l’écorce d’un chêne. Rampant doucement vers un sommet que jamais elle n’atteindra. »  

L’auteur gardera cette construction tout le roman, les chapitres Dolorès s’intercalant avec les chapitres Antoine. Tandis que Dolorès fait connaissance avec sa prison, Antoine rejoint la même prison dans les Alpes. Sa mission, en tant que psychiatre, est de déclarer Dolorès irresponsable de ses actes pour éviter un procès dont l’inévitable médiatisation fait peur au pouvoir. Car Dolorès a fait des adeptes, elle est devenue une icône. Le lecteur apprendra au fil des chapitres, comment Dolorès est devenue une tueuse. Après avoir perdu son travail « pendant la grande épidémie », son agence d’intérim lui trouve un job d’hôtesse dans les salons professionnels. Un homme suffisamment riche pour s’acheter un bolide de sport l’aborde, lui offre à dîner. « Il était PDG d’une très grosse entreprise et possédait ce visage rond et luisant des jouisseurs chez qui le ventre est l’écrin de l’âme. » Il ne parle que de lui toute la soirée puis l’entraîne dans la chambre de son palace car il est convaincu que son argent peut tout acheter. Alors qu’il se masturbe dans la baignoire, elle lui jette un sèche-cheveux branché et allumé.

 Elle n’a aucun remords et reprend les salons peu après. Elle sait que les talons hauts et le maquillage excessif font vendre, même des machines agricoles. « La bite et le porte-feuille ont un lien secret, intime, une connexion sourde. » Après le premier meurtre, une colère s’est emparée de Dolorès. Tous ces « gros pleins de fric » ne sont l’élite que parce qu’ils sont fortunés, ils sont minables, incultes, médiocres. Ils ont bâti leur fortune sur la sueur de leurs ouvriers. « J’en ai tué un autre, puis un autre. Chaque fois la même nausée, la même jouissance, la même peine, la même rage, la même folie, la même tendresse. Chaque fois la même. […] C’était beau et triste et grand et fragile et c’était à moi. Ça avait un goût ancien venu de l’enfance. C’était simple. » Et puis d’autres meurtres sont commis par d’autres femmes, c’est devenu une épidémie. Une vidéo se répand à grande vitesse : c’est le film extrait des caméras de surveillance qui montre Dolorès tuant sa victime.  La contagion s’aggrave et le danger d’être arrêtée aussi.  Alors Dolorès se planque chez un vieil ami de son grand-père qui, comme lui, a fui le Pays basque après avoir exécuté un militaire sanguinaire. Pedro est un Franciscain prêtre des rues, « s’occupant des putes, des clochards, de la misère du monde, passant ses nuits dans les bistrots à écouter s’écouler le ruisseau boueux qui servait de vie à tous ces gens. » Pedro est un personnage lumineux, idéaliste, généreux, fidèle à ses convictions. Il pense que les meurtres commis par Dolorès et l’exemple qu’elle donne malgré elle sont le début d’une révolution.
Le personnage d’Antoine n’a selon moi pas d’autre intérêt que de mettre en lumière Dolorès. Antoine est pourtant captivé par Dolorès même s’il s’en défend.

Comment tout cela va-t-il finir ? La vague de fureur que Dolorès a provoquée chez les femmes va-t-elle donner lieu à l’embrasement tant espéré par Pedro ? Antoine va-t-il percer le mystère de Dolorès ? 

Nadine Dutier 
(10/01/24)    



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Actes Sud
(Janvier 2024)
192 pages - 19,90 €

Version numérique
14,99 €











Alexandre Civico

est né en 1971. Dolorès
ou le Ventre des chiens

est son quatrième roman.